Séminaire: Humains, non humains vers une santé globale

La santé commune pour habiter une ville robuste.

Interdépendance des santés sociale, humaine et des milieux naturels à partir de l’exemple lyonnais.

Contexte :

Cette contribution fait suite à l’organisation d’une table-ronde, le cinq février 2024 en mairie du 3è arrondissement de Lyon, réunissant Olivier Hamant (chercheur, biologiste, Institut Michel Serres), Blandine Mellouet Fort (médecin en santé publique, réalisatrice, Alliance santé planétaire), Marie-Thérèse Charreyre (chercheuse au CNRS sur les sujets de santé globale) et Grégory Doucet (maire de Lyon et président des Hospices Civils de Lyon). 

Elle sera reversée au débat « Humains non humains vers une santé globale« , dans le cadre des secondes rencontres des pensées de l’écologie à Cluny, le vendredi 22 mars.

Introduction aux concepts : 

La santé telle que définie par l’OMS en 1948 : état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

Dans sa charte publiée en décembre 2021, l’OMS insiste sur l’urgence « de créer des sociétés sources de bien-être durable, engagé pour l’équité en santé, aujourd’hui et pour les générations futures, dans le respect des limites écologiques ».

Il faut avoir une définition de la santé qui dépasse la question du soin ; l’accès au soin représente uniquement 15% des déterminants de santé (le reste étant la biologie, l’âge, le patrimoine génétique, le comportement, l’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement, la qualité de l’air et de l’eau). 

Performance : somme de l’efficacité (atteindre son objectif) et de l’efficience (avec le moins de moyen possible). Soit la recherche du contrôle, de l’optimisation, de la rationalisation.

Robustesse : capacité à maintenir le système stable malgré les fluctuations.

« One Health » (ou « une seule santé ») : penser la santé à l’interface entre celle des animaux, de l’Homme et de leur environnement, à l’échelle locale nationale et mondiale. 

Ce modèle présente lui-aussi des limites comme par exemple l’absence de la santé sociale (pourtant présente dans la définition de l’OMS).

Santé commune : à la différence de One Health, la Santé commune identifie la santé humaine, la santé sociale et la santé des milieux naturels et reconnaît la dépendance de la santé humaine à la santé des environnements naturels, prioritaire.

Résumé des échanges

Le culte de la performance nous coûte (Olivier Hamant)

Nos sociétés actuelles sont malades de la performance :

le culte de la performance est réductionniste. Et résoudre certains problèmes en crée de nouveaux ailleurs. 

-l’effet rebond : l’efficience énergétique peut mécaniquement conduire à l’ébriété énergétique : nous savons construire des frigos plus efficaces en terme de consommation d’énergie, mais cela a permis à la « population » de frigo d’augmenter significativement (par ex, les caves à vin) et … l’énergie consommée par cette « population » de frigo est plus importante qu’auparavant.

la Loi de Goodhart : quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être fiable

-un coût exorbitant : pénuries de ressources, crise climatique, effondrement de la biodiversité et pollution globale sont le coût de la performance. Coût payé principalement par la biodiversité et les plus pauvres.

La robustesse comme réponse aux fluctuations du monde (Olivier Hamant)

Tous les rapports scientifiques du XXIème siècle partagent une conclusion : le monde est devenu fluctuant (évènements climatiques extrêmes, mouvements sociaux, crises géopolitiques…). Notre excès de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Et les autres êtres vivants vivent depuis des millions d’années dans un monde fluctuant, nous pouvons apprendre d’eux.

Un exemple parlant est celui de la photosynthèse: les plantes, via la photosynthèse ne récupèrent que 0,3 à 0,8% de l’énergie solaire à laquelle elles sont exposées. Elles « gâchent » donc 99% de l’énergie. On pourrait considérer ces plantes comme inefficaces mais cette inefficacité les rend robustes. Les défauts maintiennent le système stable malgré les fluctuations. 

Prenons un exemple de robustesse pioché dans nos organisations humaines : d’un point de vue économique, la sécurité sociale n’est pas performante, pas optimale puisqu’elle est déficitaire depuis toujours. Or, en prenant soin des individus qui la compose, elle renforce notre société, elle la rend plus robuste. 

Dans un monde turbulent, la valeur montante est donc la robustesse. 

Et la Santé commune permet de construire des projets robustes, en prenant en compte les trois santés sans exception : humaine, sociale et des milieux naturels (santé de l’eau, des sols et de la biomasse).

Le besoin d’un nouveau récit écologique et positif pour la santé (Blandine Mellouet-Fort)

Parmi les trois santés composant la santé commune, la santé humaine est ce qu’il y a de plus fédérateur, c’est le concept qui va permettre d’intéresser et d’embarquer le plus grand nombre. Loin des tonnes de CO² invisibles, la santé humaine est palpable, se ressent dans la chair.

On peut observer une diminution progressive du lien humain-nature, une fuite du réel vers le monde virtuel, le développement d’une amnésie environnementale : on s’habitue à l’extinction progressive du vivant, à être de moins en moins en contact avec la nature. 

La connexion humain-nature améliore la santé, le bien-être augmente les comportements environnementaux vertueux. Le récit écologique, positif et mobilisateur doit s’appuyer sur ce lien entre nature et santé, pour ressentir les effets bénéfiques et concrets d’une relation retrouvée avec la nature. 

Chez les parents, des à priori doivent être combattus : « la nature c’est sale et dangereux pour les enfants ». Alors que l’enfant s’expose à plus de risques en restant enfermé (maladies cardio-vasculaires, myopie, obésité…). Les médecins doivent veiller à ce que leurs patients gardent un contact régulier avec la nature. La Société canadienne de pédiatrie a même lancé une campagne pour « pousser les enfants aux jeux risqués ». 

Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer en développant un urbanisme favorable à la santé, en amenant de la nature à la population par une végétalisation des rues, des écoles, en déployant des crèches de plein-air, etc. 

La prévention de la santé humaine par l’alimentation. Un travail entre scientifiques et acteurs locaux (Marie-Thérèse Charreyre)

L’alimentation est un élément clé dans la construction d’un récit mobilisateur autour de la santé et de l’écologie, et est un levier central dans la santé préventive. 

Être en bonne santé et avoir une bonne nutrition n’est possible qu’en ayant connaissance de la façon dont sont produits les aliments et comment ils sont transformés. Il faut donc associer les chercheurs, les agronomes, les nutritionnistes, les acteurs de terrain comme les citoyens, les conservatoires de semences, les agriculteurs et paysans-boulanger.

Un exemple avec la culture des semences anciennes, un mélange de variétés beaucoup plus robustes et issues de l’agriculture biologique. Ceci favorise une meilleure qualité alimentaire et donc une meilleure santé. Tout cela permet de favoriser la biodiversité des sols et la présence d’insectes. Autre exemple aux HCL, avec l’utilisation de céréales d’épeautres (intérêt agronomique et nutritionnel) dans la restauration collective (16 000 repas par jour) qui permet d’agir sur la santé primaire et tertiaire des usagers. 

Un enjeu primordial est de recréer du lien entre le consommateur et son alimentation et cela peut être fait en s’orientant vers les AMAP par exemple. Dans nos sociétés, s’il y a de la demande, alors les filières se développent. Les écoles, hôpitaux etc. sont aussi des lieux de sensibilisation. 

Concernant l’offre alimentaire, des actions de régulation sont possibles. Exemple de la bataille autour du Nutri-score, qui est un indicateur imparfait mais qui donne une première information au consommateur. Les industriels ont de grandes responsabilités en la matière. 

A Lyon, la santé commune comme boussole des politiques publiques (Grégory Doucet) 

A Lyon, on utilise plus le concept de résilience, moins de robustesse. La collectivité n’a pas formellement de prérogative en matière de santé, pourtant elle a un rôle clé par son action sur le cadre de vie, ou avec l’établissement d’un Contrat local de santé. 

L’un de ses quatre axes fondamentaux consiste à « créer ou renforcer des milieux de vies favorables à la santé ». 

Plusieurs leviers sont activés afin de créer des conditions de bonne santé : supprimer les perturbateurs endocriniens dans les crèches, introduire des produits issus de l’agriculture biologique et locale dans nos crèches et écoles, réduire le plastique, re naturer la ville (espaces verts, cours nature), développer des mobilités actives, dispenser l’éducation « dehors », etc. En matière de santé sociale, nous avons fait un effort financier sans précédent pour renforcer nos acteurs de l’éducation populaire, de la vie culturelle et sportive.

Et ces actions sont réalisées de façon transversale car il est nécessaire d’aller chercher des savoirs dans différents domaines scientifiques et universitaires, de travailler à plusieurs échelles.

En effet, l’alimentation est la meilleure porte d’entrée pour sensibiliser largement et parler de la santé humaine,  de la santé animale et d’écologie. Plusieurs projets à Lyon vont dans ce sens, tels que :

  • La Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation (MESA), implantée dans un Quartier Prioritaire de la Ville (QPV), qui est un lieu hybride pour cuisiner ensemble, pour acheter des produits issus de l’agriculture biologique et en vrac à un tarif accessible et créer du lien social
  • La ville de Lyon (avec la Métropole de Lyon et St-Cyr) a participé à la reprise par 3 jeunes agriculteurs de la dernière ferme située sur le territoire municipal. Ils vont faire du maraîchage, de la vigne, de l’élevage de races anciennes de porcs quasiment disparues. 
  • Sur les marchés de la ville de Lyon, un label « Ici C Local » est déployé sur les stands. L’habitant sait ainsi où l’aliment est produit et par qui, et les producteurs et les agriculteurs locaux sont mis en valeur.
  • Les potagers urbains, entretenus en lien avec les associations, permettent de générer du lien social, notamment dans le cadre d’ateliers pédagogiques pour les enfants, ou encore d’ateliers thérapeutiques. Les enseignants sont aussi très demandeurs de ce type d’espaces dans les écoles (exemple des minis potagers)
  • La plantation de 27 vergers urbains avec différentes variétés, avec une participation des enfants participent pour favoriser le lien à la nature. 

Propos conclusif

L’exemple lyonnais en matière de santé commune illustre l’importance prépondérante des villes en la matière. Le territoire communal est le lieu même de la santé, et l’autorité municipale un acteur clé qui doit être reconnu ! 

C’est pourquoi la ville de Lyon a accueilli, en février 2022, un sommet de grandes villes européennes qui ont émis la déclaration commune « Healthy cities, healthy citizen », remise aux 27 ministres des affaires étrangères et de la santé réunis à l’occasion de la Présidence Française de l’Union Européenne. 

Cette déclaration de Lyon affirme que les politiques publiques municipales permettent d’améliorer très significativement la qualité de vie, le bien-être et donc la santé. 

Forts de cette démarche, la ville de Lyon a constitué le réseau « ONCE » dans le cadre d’un projet Urbact, qui permet, avec 8 autres villes européennes, de diffuser l’approche One Heath dans les stratégies et projets urbains.

Séminaire: La tentation de la violence dans les luttes écologistes.

Note de cadrage du séminaire organisé autour du thème « Paradoxes de l’action stratégique écologiste contemporaine » à AgroParisTech 25 janvier 2024.

Organisateurs:

Le séminaire implique les partenaires suivants : Laboratoire Printemps ; Groupe de Recherche sur l’Écologie Politique (GREP), Association française de science politique ; Agir pour l’environnement ; L’instant d’après et des formations SPES et GTES Paris-Saclay et de l’UFR Gestion du Vivant et Stratégies Patrimoniales.

De nombreux mouvements écologistes se sont historiquement prononcés pour la non-violence dans l’action militante, au nom de l’efficacité ou des valeurs. Désormais, certains mouvements militants interrogent le récit pacifié de la transition écologique et revendiquent une diversité des tactiques.
Sans renoncer à la non-violence, on voit ainsi s’affirmer l’idée d’une extension des formes d’action directe plus offensives, dans une visée stratégique de changement social. Ce choix s’associe souvent à la figure du guerrier et de la légitime défense et véhicule l’idée que les pirates obtiennent des résultats concrets sans formalité bureaucratique.
Ce phénomène prendrait une ampleur croissante et confronterait les systèmes démocratiques à une situation inédite de tensions politiques autour des modalités de gestion de la crise environnementale.
Dans ce contexte ce séminaire propose de traiter des rapports entre “écologie radicale” et démocratie.
Il examinera des logiques complexes entre les différents acteurs et leur statut, les effets rétroactifs des actions directes, les justifications de leur usage et de leur dissimulation, l’inscription dans des socio-histoires et des traditions. L’analyse de ces éléments vise à comprendre le sens et le processus d’évolution des répertoires d’actions des mouvements écologistes face à l’urgence environnementale ainsi que d’éclaircir le rapport qu’entretiennent certaines pratiques comme la désobéissance civile avec la question de la violence.
Il apparaît en effet que c’est cette question de la violence qui cristallise les tensions et occupe la place centrale du débat politique autour de l’activisme écologiste : désobéissance civile pacifiste nécessaire pour les uns, illégalisme violent à réprimer pour les autres.

De la violence écocidaire de l’Anthropocène à la violence de l’action directe illégale entraînant la judiciarisation et la répression d’un “écoterrorisme”, les nouvelles formes de l’écologie politique semblent être confrontées à nombres de paradoxes qu’il est nécessaire de penser. Cette journée se veut un dialogue entre des acteur·e·s emblématiques de l’activisme écologistes, des étudiant·e·s issus de différents cursus de Agroparistech et des chercheur·es spécialisées face aux enjeux politiques des ruptures écologiques en cours. En donnant la parole aux premier·e·s concerné·e·s, cette journée d’étude espère une sortie de l’imaginaire en exposant les récits de ces acteur·e·s qui s’articuleront autour de trois axes : 1) les raisons de l’engagement et le franchissement de la frontière de l’illégalité, 2) la vie sur le terrain des actions, 3) les effets des actions directes entre changements politiques et difficultés des conséquences.

Participant.e.s:

Les soulèvements de la Terre • Léna Lazare + invité·e·s ; Kevin + Pierre Douillard Lefevre (sociologue) • Bassines Non Merci • Julien Leguet et Jean-Jacques Guillet • SeaShepherd France • Lamya Essemlali • Animallst • Vincent Aubry • Aternatiba et ANV-COP21 • Jon Palais

Programme de la journée:

Interventions de cadrage – 9h30-12h30

  1. Ouverture. Bruno Villalba, prof de science politique, AgroParisTech, directeur du master GTES, Printemps, « Frontières de la violence ».
  2. Jon Palais, Aternatiba et ANV-COP21, auteur de La bataille du siècle, Les Liens qui Libèrent, 2023. « Les limites de l’action violente ».
  3. Margaux Arraitz, doctorante Abies, Printemps et David Porchon, doctorant Abies, Printemps, SPES : « Conflictualité, radicalité, violence… Répertoires et registres argumentatifs. Entre justification et juridicisation ».
  4. Table-ronde : présentations des acteur·trices participants aux ateliers de l’après-midi, Ateliers thématiques.

14h-16h:

  1. Pratiques de désarmements et légitimité politique. Méga-bassines : Bâche par bâche, grille par grille… Animation : Annie Le Fur (L’instant d’après) et Romain Cazaux (Doctorant EHESS) Collectif : Bassine Non Merci Intervenants : Julien Leguet et Jean-Jacques Guillet Objectif : Décrire le processus menant aux pratiques de sabotages, leurs effets sur les agriculteurs irrigants, les conséquences répressives sur les militants, le retour rétro-actif de la violence/vengeance (passage à tabac de militant, menace de mort, attaque de maison…). Quels sont les conditions d’émergences et les effets des pratiques de désarmements ?
  2. Loi spéciste et contre-violence antispéciste Animation : Romane Soler (doctorante Dysolab, GREP AFSP) Nolwenn Veillard (doctorante Arènes) Collectif : Animal1st Intervenants : Vincent Aubry Objectif : Souligner les spécificités d’une lutte pour les non-humains. Entre sacrifice identificatoire (hameçonnage, marquage au fer rouge) et libération des animaux prisonniers, paradoxes de la violence et confrontation à la cellule Démeter : un dialogue avec les spécistes est-il possible ?
  3. Judiciarisation ou criminalisation ? Animation : David Porchon (doctorant AgroparisTech/Printemps) Intervenants : Kevin+ invité.es, discussion avec Pierre Douillard Lefevre, chercheur en science sociale, spécialiste du maintien de l’ordre, auteur du livre « Nous sommes en guerre ». Objectif : Présentation des outils répressifs et législatifs, ainsi que des pratiques en cours en France face aux actions directes des écologistes. De la Zad de NDDL à Sainte Soline, à l’affaire Lafarge ou encore aux pratiques de dissolution administratives, quels sont les effets et les impasses d’une régulation par la voie répressive ?
  4. Sommes-nous tous des éco-terroristes ? Complémentarité des tactiques et acceptation de l’action offensive Animation : Margaux Arraitz (doctorante, AgroParisTech/Printemps, GREP AFSP) Collectif : Les Soulèvement de la Terre Intervenantes : Léna Lazare et invité.es Objectif : Présentation de la complémentarité des tactiques et de ses effets sur les millitant.es et leurs adversaires. De l’affrontement avec les forces de l’ordre au sabotage, le mouvement écologiste est-il toujours non-violent ? Quels sont les effets de la « composition » sur les récits politiques des luttes écologistes ? Atelier de restitution.

16h-17h :

Travail de production de fiches évaluatives par les étudiant·es de SPES et GTES. Présentation des résultats des évaluations • 17h15 Table ronde finale avec les intervenant·es.

Séminaire: Sobriété, justice sociale et environnementale.

Compte rendu du séminaire sous l’intitulé « Sobriété, production, consommation. Injonctions et contradictions » tenu le 12 décembre 2023, Fondation Léopold Mayer, Paris 11e.

Co-organisateurs:

Bruno Villalba, professeur de science politique, AgroParisTech, Printemps. Samuel Sauvage, directeur de projets économie circulaire chez Auxilia, cofondateur de HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée), Stéphen Kerckhove, directeur général, Agir pour l’Environnement.

Problématique du séminaire :

Dans la continuité de la réflexion sur la sobriété initiée lors des premières rencontres, le séminaire interroge les conséquences d’une politique de sobriété sur le système productif et consumériste.

De nombreux discours existent qui valorisent des changements politiques, institutionnel et culturel systémique afin de faire face aux limites écologiques (transition écologique, planification, décroissance…).

Bien souvent, le rapport à la production/consommation n’est abordé qu’au travers d’une amélioration des dispositifs de production. La sobriété est ainsi construite comme une extension de l’efficacité. Pourtant, la logique de sobriété est prioritairement rattachée à l’univers de la consommation.
Si elle concerne des dimensions macroéconomiques, la sobriété questionne plus précisément la relation intime que nous entretenons tous à la consommation. De ce fait, le rapport entre production/ consommation est directement interrogée dès lors qu’on souhaite mettre en place des politiques de sobriété.
La sobriété valorise la consommation essentielle, préconisant la réduction des actes d’achats (biens et services) qui sont autant d’atteintes à la biosphère. On saisit donc bien l’antagonisme entre, d’un côté, la volonté d’un développement du productivisme, au nom du bien-être individuel et de l’intérêt économique des entreprises, et de l’autre, la réduction de la consommation au nom de l’intérêt de la planète et des générations futures, ainsi que des non-humains.

Pour tenter de réduire cette tension, on constate l’émergence de deux stratégies :

  • Des actions individuelles de consommateurs, (consom’acteurs, etc.) prenant en compte leur responsabilité dans l’acte de la consommation. La consommation demeure mais les pratiques changent, rendant ainsi possible la conciliation consommation/préservation ;
  • Une offre de sobriété émanant des entreprises : Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de business models soutenables (notamment RSE) et circulaires (éco-conception, d’efficacité énergétique, de circularité des flux de matières…).
Plus récemment encore, le monde de l’entrepreneuriat s’interroge aussi sur l’enjeu de la sobriété, comme en témoigne le plaidoyer pour une économie de la sobriété (Mouvement impact France). Cependant, les initiatives restent essentiellement centrées sur l’offre et maintiennent un imaginaire de la croissance verte.

Pourtant, développer un modèle sobre devrait permettre d’interroger la question de la valeur créée (utilité du produit au-delà des seules conditions écologiques et sociales de sa production), ainsi que de son impact sur la consommation. Un tel modèle business permet-il d’interroger le découplage de la productivité et de la destruction des ressources non-renouvelables ?

Le séminaire questionne le rôle central de la réduction dans la consommation et ses effets sur le monde de l’entreprise, de la défense du pouvoir d’achat, etc. La sobriété n’est pas seulement une question énergétique ou technique, mais un problème éminemment démocratique, qui concerne donc principalement les conditions de la production du bien-être, de son accessibilité et de son maintien.

Déroulement:

10h-12h30 Interventions de cadrage.

  1. Tour de présentation à partir d’un photolangage.
  2. Cadrage de l’atelier, principales définitions et enjeux (Bruno Villalba, AgroParisTech, Printemps).
  3. Interventions spécialisées :
    • Maud Herbert, Lumen, université de Lille, Professeure de marketing et culture de consommation – Co-fondatrice de Tex&Care, la chaire de la Mode Circulaire – interdisciplinarité au service de la transition du secteur de la Mode :  demarketing » et adaptation. Le cheminement vers le renoncement ».
    • Nadine Roudil, sociologue, « La rénovation thermique et ses conséquences ». N. Roudil a réalisé des études européennes sur la green génération, et travaille aussi sur les enjeux de la sobriété dans les écoles d’architecture.
    • Julie Madon, docteure en sociologie, Science po Paris, « Résister à l’obsolescence des biens domestiques. Des consommateurs contre les prescriptions du monde marchand et de l’entourage ».
  4. Questions et réactions de la part des participants et co-animateurs.
  5. Séquence de « purge » du sujet par sous-groupes : identification de tous les obstacles à la sobriété à partir de la méthode « CETOCSIC.

14h-17h Ateliers destinés à produire quelques recommandations.

  • 14h-14h30 : Mise en jambes, cadrage de l’exercice et constitution de 3 sous-groupes de 7 : Consommation / Production / Aménagement (par exemple). Chaque groupe nomme 2 « magiciens », 3 « ingénieurs » et 2 « diplomates ».
  • 14h30-16h : les groupes nomment 2 « magiciens » chargés de trouver 2 solutions magiques à la sobriété sur leur champ d’application. En groupe, les ingénieurs sont chargés de traduire la solution magique en solution opérationnelle, tandis que les diplomates veillent aux conditions d’acceptabilité. Une trame de solution est remplie.
  • 16h : pitch des 6 solutions travaillées. Echanges et ajustements en plénière et  travail de priorisation des propositions selon une échelle d’impact / faisabilité.
  • 17h : conclusions.

Échanges:

Sont rappelés quelques points de vigilance méthodologique. Dans cette problématique, plusieurs dimensions sont enchevêtrées : Les comportements individuels (responsabilité/responsabilisation) les tensions entre la nécessité de la sobriété et l’attente de consommation/intégration qui nécessite la gestion de la frustration (abondance non-atteinte). Le pilotage institutionnel de la sobriété, la tension (ou pas) avec la finalité productive des entreprises.

L’appel à la sobriété interpelle des choses très profondes chez les individus.Elle est aussi une négociation constante avec soi et avec son environnement social. il convient de reconnaître l’importance de l’incertitude et la notion de tension permanente/urgence existentielle et sociale qu’introduit la notion de sobriété.
Parle-t-on d’ailleurs de pratiques d’efficacité de gestion des flux et des stocks, ou d’un renoncement même à l’accumulation ? Quelle place et priorité accorder à la question budgétaire domestique ?

Le détachement relève d’une situation proche du deuil, de la fin d’une certaine conception de l’avenir. Les Enjeux dont forts dans la dépendance à l’objet et au désir de l’objet. La consommation est une activité sociale ;Il ya une dimension intrusive de l’injonction à la sobriété dans le rapport à l’objet, aux liens sociaux ;
Ajoutons que l’approche anthropocentrée devient de moins en moins androcentrée .

Les conditions sociales et culturelles de production de la norme « sobriété » sont donc à prendre en compte. Il convient de bien saisir les interactions en jeu dans la construction de la sobriété (individuelle, domestique, au travail, les collectivités) Parmi celles-ci :
Les inégalités, l’habitus consumériste, les valeurs dites immatérielles, la négociation de la norme de confort, le poids culturel du patrimoine, la radicalité plus ou moins grande de la transformation de nos modes de vie (la voiture comme mode de vie). L’influence des groupes de pression Le clivage manuel/intellectuel.

Du point de vue cette fois des orientations publiques, la construction des Instruments prend donc une dimension particulière la sobriété est une question politique:

  • Il faut répartir la charge de renoncement par une politique redistributrice, sinon pas de sobriété acceptable ou juste.
  • Les échelles d’intervention doivent être précisées et harmonisées a minima : Au niveau européen on connait les difficultés pour harmoniser les politiques (ex. TVA ; ex. sur les directives habitats sur la rénovation énergétique). Il faut en fait concevoir et diversifier les lieux de débat en fonction des objectifs recherchés.
  • a sobriété ne peut pas être construite en silos (politiques sectorielles). Par exemple les effets rebonds des pratiques de recyclage tendent à annuler les politiques de sobriété si elles ne sont pas examinées dans leur ensemble.
  • Il faut professionnaliser les objectifs de sobriété et normer les conditions de certifications des acteurs du marché (entrepreneurs, artisans, propriétaires…).
  • Il faut, même si ce n’est pas facile, prendre en compte ou comptabiliser les absences (biodiversité, réalités autres qu’humaines).

Le choix des Instruments, des moments et des espaces prend donc une importance particulière:

  • Comment rendre désirables les pratiques de sobriété ? (Ex. sur le moment de renouvellement de l’objet) il convient de préciser si on parle de sobriété écologique ou de sobriété dans la dépense.
  • Comment développer les pratiques alternatives : règlementation ? intermédiation politique souple et incitative : encadrement par des normes ; responsabilisation individuelle par le cadrage de l’institution et des partenaires commerciaux.
  • Comment favoriser la constitution de communautés sobres d’action ?

Intervention de Nadine Roudil : « Sobriété énergétique : quelques enjeux de la rénovation de l’habitat ».

La sobriété est inscrite dans une réalité sociale, particulièrement dans la situation du logement, ce qui explique le succès de la notion de précarité énergétique.
Cela pose la question de la lutte contre les inégalités. Il convient de réinterroger le paradoxe de l’ère de « l’abondance » ; l’opulence énergétique était liée à la surface disponible car sur l’instant elle ne coûtait pas cher. De cette façon, l’Etat a créé les conditions de la (sur)consommation, notamment d’énergie.
Comment démonter ce mécanisme et comment on y renonce ? L’invisibilisation de l’énergie et ses dimensions pourtant bien matérielles, est très grande, notamment dans les objets, mais aussi dans les pratiques sociales.
L’impossibilité de consommer marque une fracture de l’intégration : il y a donc des mots d’ordre qui sont inaudibles dans les populations précaires. Les populations contraintes expriment une attente de consommation. Comment construire une participation volontaire dans l’action de sobriété ?

Quelques remarques en vrac:

  • La sobriété dans le logement : on doit regarder la qualité de l’habitat et les pratiques de consommation d’énergie (voir les chiffres sur les types et la qualité d’habitat en France). Mais il faut regarder aussi les conditions de mobilité liées à l’habitat.
  • Les grands consommateurs d’énergie (par exemple) parisiens sont les plus hauts revenus ; on connait les inégalités de capacités à se chauffer. Du coup, les actions publiques paraissent désajustées ! les cibles devraient être prioritairement centrées sur les classes les plus aisées en vue de la fabrique de la « ville sobre » .
  • Il faut parvenir à des normes qui soient garantes d’un certain niveau de sobriété si on veut s’engager dans une transformation de l’habitat. Ce qui interroge l’institutionnalisation des normes et la normalisation des conduites.
    1. L’institutionnalisation des normes dépend du poids et de la crédibilité des institutions qui en font la promotion : étiquettes énergétiques, réglementation thermique, ville durable, développement de la ville sobre (labels et normes sur le volet construction et rénovation) …
    2. L’action publique détermine les conditions de professionnalisation des objectifs de sobriété, donne un prérequis (compétences, diplôme, relations) à une approche technique et s’appuie sur le développement d’un marché. La palette des acteurs qui ont affaire à la sobriété s’étoffe d’années en années (artisans, propriétaires, bailleurs…)
    3. La normalisation des conduites et des pratiques par des campagnes de sensibilisations aux économies d’énergie, les messages d’incitation dans le logement ; mais aussi contrainte par la monétarisation du coût de l’énergie pour le logement (Système DPE diagnostic de performance énergétique (DPE) On est toujours en limite des pratiques culpabilisantes.

Julie Madon: « Résister à l’obsolescence des biens domestiques ».

Si l’on veut encourager les pratiques individuelles pour faire durer les biens domestiques : il faut Interroger les liens entre les pratiques individuelles, domestiques et avec les entreprises, sur les objets banals. Il faut examiner les freins et les incitations,

La Construction des pratiques de longévité qui interviennent dans la carrière des objets dans un foyer, sont très variées : acquisition durable, préservation, prolongement) mais toutes ne sont pas écologiquement acceptables.
Cette diversité des pratiques renvoie à des significations variées avec une grande diversité d’acteurs : les sympathisants de HOP peuvent être classés en plusieurs groupes : les consuméristes, les installés, les citadins, les décroissants etc.
La socialisation familiale a sur ces pratiques une grande influence et l’appartenance sociale également : un rapport plus sobre aux objets est souvent lié a des contraintes financières ;
Les facteurs de sensibilisation ne sont jamais exclusifs et s’articulent entre eux : incitation publique + parcours personnel + éducation + contraintes budgétaires.
Comme cela a été dit, la non consommation est source de frustration …

Les freins aux pratiques de longévité sur la durée des objets :

Elles mobilisent de nombreuses ressources, socialement inégalement réparties (matérielles, informationnelles financières, spatiales, cognitives…) Aussi des ressources à titre individuel (bricolage ; temps…). Elles supposent une bonne connaissance des critères écologiques dans les phases d’achat et d’entretien et on ne dispose pas forcément de ecs connaissances. Elles nécessitent des négociations domestiques ou relationnelles. Elles se heurtent à des normes sociales dépréciatives (« radin », « illogique » et « inutile ») Elles sont contradictoires avec une offre marchande qui va aiguiller une partie des décisions : information donnée, impulsion d’une offre incitative, difficultés de réparation, prix de la réparation…Elles se comparent avec les pratiques dominantes d’entreprise, les normes de l’autorité publique .

Maud Herbert : « demarketing » et adaptation : Un cheminement vers le renoncement ».

Le marketing a participé à diffuser une culture de surconsommation, le chemin inverse est-il possible ? Pour le renoncement matériel et le cheminement vers la sobriété, les facteurs sont nombreux ; une démarche de détachement et de de révision à la baisse de son schéma de consommation + les contraintes sociales de sobriété.

Maud Herbert : « demarketing » et adaptation : Un cheminement vers le renoncement ».

Le marketing a participé à diffuser une culture de surconsommation, le chemin inverse est-il possible ? Pour le renoncement matériel et le cheminement vers la sobriété, les facteurs sont nombreux ; une démarche de détachement et de de révision à la baisse de son schéma de consommation + les contraintes sociales de sobriété.

Partie 1 – Pourquoi la sobriété doit-elle s’occuper du marketing ?

Comprendre et déconstruire l’emprise académique : depuis les années 70, le marketing traditionnel a accompagné, soutenu, aidé à répandre et généraliser une culture de consommation occidentale dominante et son système productif “sans limites” (littéralement « l’économie du cow-boy »)
Les « bibles » du marketing et du Marketing Management) ont été un moyen d’influencer pour faire adopter les pratiques de consommation (dans les années 1970) et même les étendre dans tous les domaines (Voir le caritatif, dans les années 1970). Nous devons déprogrammer et décoloniser 45 ans de théorisation hégémonique, hautement invasive dans les pratiques et dans la recherche. Les conséquences de l’invasion du marketing sont nombreuses :
– Un brouillage intempestif et constant entre la notion de besoin et de désir : « construction des besoins“ ”attentes des consommateurs“ ”cible et ciblage“ ”positionnement ».
– Un problème avec la temporalité : le marketing positionne le consommateur, client roi, dans un instant t, avec une tendance à accélérer tous les rythmes (production et consommation). Le marketing soutient l’immédiateté de la consommation et rend (de plus en plus) difficile de penser son propre futur (de manière raisonnée et raisonnable), sauf à le fantasmer et à faire de soi un projet identitaire ou plusieurs projets.
À ce titre, le consommateur est englué dans une culture de consommation consumériste mais cela va même plus loin : le syndrome consumériste touche toutes les sphères, y compris le rapport à l’autre, on consomme plutôt qu’on investit durablement. On consomme même la « responsabilité ».
Apogée de cette ère, le consommateur interprète les offres du marché de manière consumériste, nos pratiques sont façonnées. Des dispositions marchandes deviennent des consommerçantes, les objets deviennent des actifs sur lesquelles il spécule.
Le marketing coupe désormais le consommateur de la matérialité des objets : dès le milieu des années 80, pour accompagner la mondialisation et la financiarisation (Brand equity management) le marketing a tenu le discours fondé sur le progrès et le confort. Il a focalisé une grande partie de ses attentions et des ressources vers les valeurs immatérielles : (la marque, les concepts, l’expérience).
Depuis ses débuts, le système capitaliste extractif a focalisé sur la « marchandise comme fétiche » ! Ce fétichisme s’est nettement renforcé par les techniques marketing qui créent une très forte distanciation voire une négation de la production matérielle. Au-delà de l’abondance il valorise l’accumulation. Laquelle est renforcée par la valorisation extrême de l’éphémère et du renouvellement qui de facto, annule l’idée même de durabilité. C’est comme cela que fonctionne également le marketing dit « expérimentiel « (l’achat d’une expérience, d’une idée, d’un concept) … espace de distanciation qui crée une distance avec les supports matériels mêmes de l’objet ! L’objet devient le support d’un autre achat.

Partie 2 – Comment le marketing prétend il s’occuper aujourd’hui de la sobriété ?

  • Soit Il ne s’en occupe pas ; on reste globalement dans un déni organisé du sujet écologique et encore plus de la sobriété, au sein des pratiques managériales et de recherche : il refuse évidemment d’associer capitalocène et anthropocène, il est déjà en difficulté à penser le “mieux”, alors penser le “moins”…
  • Soit il s’en occupe en utilisant la même pensée qu’auparavant  : un marketing vert ou durable qui soutient la « croissance verte », ou un marketing qui s’intéresse exclusivement au bien-être du consommateur (convaincre les gens rapidement et sans douleur = nudges mystique de la manipulation « pour un bien »). On peut parler ici du détournement de la thématique de la « sobriété heureuse » dans une forme d’immédiateté qui flatte encore l’hybris (et qui se traduit même dans les médias avec l’épanouissement personnel, le bonheur individuel etc.). Ce marketing là affiche une volonté très affirmée de se tenir à l’écart de la politique. Il parle peu d’écologie.
  • Il arrive qu’iI s’en occupe, mais de manière très minoritaire et à la marge avec plusieurs manières d’aborder la question ;
    1. Une approche anthropo-philosophique qui prône un rapport sensible au Vivant et une réflexion ontologique renouvelée. Cette manière d’aborder les choses est souvent esthétisante, une intellectualisation distinguée (et très « située » par rapport aux profils des chercheurs). Voyez le « Thoreau away » et la recherche de plénitude. De façon générale, la littérature sur le consommateur responsable s’est focalisée sur les convaincus à haut capital culturel et économique.
    2. Une forme macro qui se concentre sur les grands discours /récits et les transformations discursives des marchés.
    3. Une forme micro qui se focalise sur l’objet ou les objets le rapport à l’objet qui se concentre sur les liens entre les individus et leurs possessions. C’est une approche plutôt psychologisante et/ou une approche par la sociologie de l’objet et la culture matérielle et qui fait (souvent) appel à la théorie des pratiques.
    4. Une forme critique (enfin !) qui prend en compte aussi les disparités sociales dans la consommation, qui va pointer les formes de responsabilisation et qui ose parler de décroissance.

Partie 3 – Propositions de pistes de réflexion concrètes à propos du chemin du renoncement matériel

Il faut citer ici deux à trois recherches importantes sur des registres très différents : celle menée en 2013, avec l’ADEME pour « Osez Changer », celle menée dans les dressings, celle menée sur les couples qui renoncent à la procréation. Elles convergent :
Un point de départ fort : la super structure que représente le paradigme social dominant de la (sur)consommation et ses injonctions.
Une donnée importante : la capacité à agir du consommateur, la force du groupe et du lien social dans les rapports de consommation (et donc de non-consommation).

Je ne parlerai pas ici de récit, mais plutôt de stratégies de renoncement matériel :

  1. Le renoncement matériel n’est pas un parcours linéaire : Un parcours non linéaire pour tous les profils, avec des dilemmes fort et des sentiments négatifs (colère, frustration, découragement) plus ou moins contrebalancés par des sentiments positifs (fierté, accomplissement). Ne pas sous-estimer la place des émotions dans le processus.
  2. Il existe des étapes chroniques avec des “objets” totems (l’alimentaire, la voiture, le déménagement, les voyages/vacances, les meubles, les objets du quotidien), le renoncement est aussi un processus de détachement progressif (ex de la voiture, de la boîte utile). Ici possibilité de parler de « Take the Jump » 2022 : trois vêtements neufs par an pour respecter le 1,5° (on est actuellement à 31 ! en moyenne par foyer).
  3. Le renoncement est d’abord un désencombrement (pour les privilégiés) et un approvisionnement mesuré pour les plus contraints, principe de l’économie circulaire domestique à conscientiser : éviter le neuf, revenir à la matérialité déjà existante (penser en flux et pas en stock). Les pratiques de réparation et d’embellissement augmentent la durée de vie.
  4. La socialisation joue un rôle notoire : Partager ses efforts et découragements est important, avoir quelqu’un qui aide à commencer puis à maintenir les efforts (ex osez Changer, question également du partage des tâches).
  5. la localisation joue un rôle notoire/territorialité, les initiatives à échelle locale sont souvent les plus intéressantes/efficaces. En auto-gestion (ex : les dons sur les communautés FB) ou avec intermédiation politique (sous conditions).
  6. Reconnaître l’importance de l’incertitude et la notion de crise permanente/ la crise c’est à la fois un futur perdu, une ambiguïté/incertitude sur les futurs à venir, et la conséquence est de trouver sa place dans ce maelström. Ici évoquer l’idée qu’il faut faire le deuil d’objets, de pratiques mais également du vivant (je reviens également sur l’idée d’accepter les émotions liées à ce type d’évènement), d’autant plus compliqué que nous vivons dans une société contemporaine dont le rapport à la mort est complexe et culturellement distancié. A creuser les deux mythes de la mort : la mort-naissance et la mort-survie. Une dernière idée avant l’échange ; La consommation responsable est le fait des femmes, comme le zéro déchet, dans le textile…

Note synthétique sur les échanges de l’après-midi. Ce qui fait que les choses vont bouger dans le sens de la sobriété:

  • La sobriété contrainte : l’effondrement possible de tel ou tel secteur économique et industriel. Les ruptures d’approvisionnement liés aux conflits, la pénurie ou l’explosion des couts liés à la raréfaction ou à la prise en compte dans la formation des prix des couts écologiques dans la production, la modification des moyens financiers disponibles des ménages (La ségrégation par l’argent).
  • La sobriété choisie l’évolution des objectifs définis par la communauté, les pratiques culturelles déconsuméristes.

Les instruments qui peuvent transformer les pratiques sociales :

  • Des dispositifs descendants +/- contraignants ; limitation de l’extractivisme et du commerce international, relocalisation industrielle ; carte carbone ; action sur les prix et la course aux coûts bas, le protectionnisme écolo, les réglementations, les taxes…
  • Des dispositifs d’alliance et de partenariat : Partenariats public/privé (financement, transformation des process de production, soutien à l’innovation…) ; enjeux du financement des mesures et des politiques envisagées (pb de la dette…) ; production de label, de scores, etc. dissuasifs.
  • Dimensions procédurales de la négociation pour développer des pratiques sobres :
    1. Démocratisation des débats : arènes de débat, procédures participatives, expérimentation, évaluation essaimage…
    2. Délibération collective pour définir (par exemple les besoins) .
    3. Territorialisation des process et des procédures.
    4. Planification aux échelles pertinentes.

Séminaire: Science et décision publique

Séminaire tenu à Paris 23 novembre 2023.

Intervenants:

Le séminaire a réuni les différents membres du groupe de travail de La Fabrique écologique qui a donné lieu à la publication de la note Sciences et décision publique : « Mariage impossible, union de raison? » en juin 2023. Il s’agit de Denis Couvet professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), de Lucile Schmid Vice-présidente de La Fabrique écologique, tous deux coprésidents du groupe, de Sylvain Rotillon chef de projet vélo dans l’Essonne, géographe, de Frédéric Denhez écologue et journaliste, d’Héloïse de Gaulmyn étudiante en master d’économie environnementale à AgroParisTech et rapporteure du groupe. Jacques Archimbaud assistait au séminaire pour l’association « L’instant d’après » qui coorganise les Rencontres de Cluny.
Le séminaire conformément au mandat, s’est efforcé d’identifier des points de consensus et de controverse autour de la thématique des liens entre sciences et décision publique. L’élargissement aux liens entre sciences et questions de société autour du « faire société écologique » a semblé nécessaire, compte tenu de la finalité des Rencontres de Cluny.

Déroulement:

Le séminaire conformément au mandat, s’est efforcé d’identifier des points de consensus et de controverse autour de la thématique des liens entre sciences et décision publique.
Le séminaire a volontairement moins traité de la question du récit de la relation entre science et décision publique dans une société écologique et solidaire à venir que de la question des conditions à installer pour construire dès à présent un tel récit
L’élargissement aux liens entre sciences et questions de société autour du « faire société écologique » a semblé nécessaire, compte tenu de la finalité des Rencontres de Cluny.

La discussion, en lien avec les travaux effectués pour la note et ses conclusions, a abordé les enjeux suivants:

1°) La position de neutralité des chercheurs et la manière dont cette position peut être modifiée dans un contexte d’accélération des dérèglements écologiques et de transformation du débat public.
Les questions suivantes ont été soulevées : la neutralité existe-t-elle ? Quelles sont ses relations avec la ou les notions d’objectivité scientifique ? A quel moment une action est-elle militante ? Qu’est-ce qu’un chercheur militant ‘initiative Scientists in rébellion) ? Comment sortir de son laboratoire ? Faut-il le faire ? Quelle est la position la plus pertinente de la recherche face à des décisions politiques urgentes mais qui tardent à venir ? Doit-elle être la même face à une grande diversité de parties prenantes –société civile, monde économique et financiers, pouvoirs publics ? Cette question relève-t-elle de la conscience de chacun ? Peut-elle être abordée collectivement, par des instances de régulation (collectif 1.5, comité d’éthique du CNRS)? Quelles sont les disciplines touchées majoritairement ? Jusqu’où peut aller l’engagement ?

2°) La question des générations et de l’interdisciplinarité. Les jeunes chercheurs sont-ils davantage concernés et mobilisés par « l’urgence écologique » ? Le développement de l’interdisciplinarité qui est explicitement à l’ordre du jour institutionnel, se fait-il au bon rythme et avec des moyens suffisants (financiers, déroulement de carrière) ?
Comment peut-on inscrire cette interdisciplinarité dans les parcours d’enseignement supérieur et les premières années de recherche ? Les échanges ont mis en avant la nécessité d’un meilleur dialogue entre les sciences humaines, de la nature, et les sciences de la complexité. Le risque existe que se développent plusieurs agendas qui ne s’articulent pas entre eux : droit, économie, sciences du climat, biodiversité. La meilleure interaction entre le GIEC et l’IPBES est un élément positif.

3°) La création de récits pour une société écologique autour des sciences. La multiplication des exercices de prospective et des scénarios pour une transformation des comportements à l’horizon 2030/2050 (neutralité carbone) donne aux faits scientifiques et aux contraintes économiques et sociales qui en découlent une importance centrale.
Les rapports du GIEC et de l’IPBES ont joué un rôle essentiel pour faire comprendre la responsabilité humaine dans les dérèglements actuels. Mais les récits continuent d’osciller entre une vision catastrophiste et des idéologies solutionnistes (qu’elles soient technologiques ou politiques).
Comment peut-on encourager la production de récits qui prennent en compte le niveau d’ambition nécessaire et qui donnent aux principes du contrat social (égalité, solidarité, enjeux de liberté) leur place, tout en tenant compte des faits, qu’ils soient matériels et/ou sociaux ? Comment adapter ces récits aux enjeux micro-économiques et territoriaux et ne pas se cantonner à un registre macro-social?

4°) L’intérêt de l’approche par la recherche pour alimenter le « comment faire ? » et non plus le seul diagnostic. Cela se constate d’ailleurs dans les rapports mêmes du GIEC (Vie Rapport) et dans le dernier rapport de l’IPBES qui valorise les savoirs vernaculaires, d’expérience, proposant d’aller vers la transdisciplinarité, ou combinaison mise en synergie des différents savoirs.
Pour combattre le climato-scepticisme, un consensus s’est dégagé lors du séminaire pour considérer que les limites du « comment faire ? » créait de nombreux malentendus. Et était instrumentalisé par les adversaires de la transition écologique pour créer de nouveaux obstacles au changement.
Le fait de se cantonner à un discours abstrait, moral, porté par les élites publiques ou privées, ou d’’appuyer les transformations écologiques sur un usage du droit qui ne prenne pas suffisamment en compte les enjeux sociaux et économiques alimente les conservatismes et les peurs.
Les résultats, propositions, scénarios, de la recherche peuvent éclairer les alternatives. Mais celles-ci doivent impérativement être appuyées par des moyens institutionnels –arènes de construction et de mise en discussion des récits- humains et financiers, une bonne collaboration entre acteurs et des méthodes de mise en oeuvre qui mettent en place les médiations et la territorialisation indispensables.

5°) Le rôle des médias, l’organisation du débat public comme outil indispensable d’une vie démocratique où les faits scientifiques et les résultats de la recherche ne soient plus le domaine réservé des experts.
En 2022, la signature par de nombreux médias d’une charte d’engagement a donné aux enjeux écologiques une place plus importante dans leur ligne éditoriale, comme d’en faire un traitement documenté, est un premier pas.
Les choses ont-elles vraiment changé pour autant ? L’une des difficultés est la mise en perspective des faits, autour de mise en récits plus écologiques, alors que le flux de l’actualité structure aujourd’hui les médias audiovisuels et même la presse (flux des sites) dans des mises en récits résolument non écologiques, centrés par exemple autour de la croissance des productions et consommations matériels. La formation des journalistes aux faits scientifiques a également progressé.
Mais le traitement de l’information et sa mise en débat suppose de rompre avec le processus même de présentation actuelle lorsqu’il est superficiel, routinier, tendanciel, n’intégrant pas le changement de perspective écologique : buzz, phénomène d’imitation entre médias, traitement des informations positives sous-estimé au profit des mauvaises nouvelles et de débats conflictuels. Comment traiter d’enjeux complexes ? Comment donner des exemples territorialisés, concrets ? La montée en puissance des fake news affecte aussi les enjeux écologiques.

6°) Le développement des sciences participatives/citoyennes. La France est un pays où les sciences citoyennes ont traditionnellement une place non négligeable particulièrement sur les enjeux de biodiversité.
Les collaborations entre les ONG environnementales et des chercheurs concernant les sciences de la nature existent de longue date (programme Vigie Nature MNHN, FNE, citoyens bénévoles : mesures des populations d’animaux et de végétaux dans toute la France).
Mais il reste à construire une culture scientifique partagée entre les citoyens, les chercheurs et ceux qui décident sur des enjeux comme l’énergie domaine longtemps réservé aux ingénieurs et aux grands acteurs économiques internationaux. Il y a également nécessité de développer de nouvelles formes d’hybridation de la recherche pour que les sujets viennent du terrain. Les citoyens ne doivent pas être cantonnés à être des collecteurs de données. De descendant le système de recherche doit devenir ascendant.

7°) Un discours documenté sur la transition écologique indispensable pour les engagements du Pacte vert européen.
Les engagements de l’Union européenne sur le Pacte vert (2019) se sont traduits par un bouquet de textes Fit for 55 qui place les États membres face à une ambition sans équivalent à l’échelle mondiale. Mais la tentation de « la pause » fait explicitement partie des options pour la prochaine mandature. A l’échelle de l’Union européenne la nécessité de faire le lien entre les faits scientifiques, les enjeux de justice sociale et un fonctionnement des institutions qui inscrive le récit européen durablement dans une perspective écologique est indispensable.

Séminaire: Quel avenir pour les paysans ?

Compte rendu des échanges tenus sur le thème Les paysans : FUTURS POSSIBLES/ Les alliances terrestres Du 7 au 11 juin 2023 au Château de Goutelas (Marcoux,42)

Du 8 au 11 juin 2023, le Château de Goutelas (Marcoux, 42) a organisé la deuxième édition de son festival Futurs possibles, un rendez-vous prospectif, solidaire et interdisciplinaire pour interroger notre place au sein du vivant. Pour cette édition, le sol, cette « zone critique » qui engendre la vie dans toute sa diversité, fut au cœur des débats et des créations. Scientifiques, penseurs·euses, artistes, agriculteurs·trices et citoyen·ne·s se sont retrouvés à Goutelas pour imaginer et penser ensemble de futures « alliances terrestres » !
Un vaste programme d’environ 25 rendez-vous (rencontres, conférences et tables rondes, performances, cinéma en plein air, ateliers, art contemporain et numérique, ou encore balade à vélo à la rencontre d’initiatives locales) a été proposé au grand public (prix libre hormis les repas).
S’y sont croisés Camille de Toledo, Éric Lenoir, Dusan Kazic, Marc-André Selosse, Paul Guillibert, Léna Balaud, Antoine Chopot, Nicolas Truong, L’Atelier Paysan, Terre de Liens, la Fabuleuse cantine.

Les membres de l’instant d’après (Annie Le Fur et Philippe Cacciabue) ont assisté aux nombreux évènements du jeudi au samedi et ont animé les débats synthétisés ci-dessous.

Jeudi matin: Etat des lieux de l’agriculture du territoire (Agglo Loire-Forez) avec des acteurs locaux (agriculteurs, techniciens des collectivités territoriales, des associations, lycéens, étudiants…etc.), – Présentation du RGA (Recensement général agricole) et de l’état des lieux des filières à l’échelle locale (Loire Forez agglomération ) – Mise en perspective de cet état des lieux à l’échelle du Département de la Loire (intervention de la chambre d’agriculture de la Loire) avec Chantal Brosse , conseillère départementale, VP déléguée à l’agriculture. – Échange avec le réalisateur du film commandé par la Société d’agriculture, arts et belles lettres de la Loire, Guillaume Descave à la rencontre des agriculteurs.trices ligériennes.

Synthèse:

Un territoire très « agricole » et une production foisonnante mais mal équilibrée, qui manque de fruits et légumes en particulier – Un PAT (Plan Alimentaire Territorial) ambitieux et déjà bien avancé (bouclage juillet 23) avec la résilience du territoire comme objectif partagé – Des efforts significatifs pour améliorer la qualité des repas scolaires – Le département avec le plus grand nombre d’AOP, et 12% de la surface en AB (9-10 % en moyenne nationale) – Une forte inquiétude sur la ressource en eau pour l’avenir – Le territoire a perdu 28 % de ses fermes en 10 ans et 47 % des agriculteur.rices sont sans succession assurée.- les nouveaux installés sont de plus en plus jeunes (30 ans),mieux formés et tentent de lutter contre l’agribashing en essayant de changer leurs manières de travailler, leurs rapports aux consommateurs… malgré une aggravation des pollutions (eau, air, sol).- Une prise de conscience de la nécessité de changer de modèle commence à s’ancrer dans les campagnes.

Jeudi après -midi: Diagnostic d’un modèle agricole et alimentaire français avec Matthieu Dalmais (Sécurité Sociale Alimentaire), Hugo Persillet (Atelier Paysan), Tanguy Martin (Terre de Liens).

Synthèse:

  • La puissance des machines agricoles par exploitant a été multipliée par 400 depuis les années 60, ce qui a vidé les campagnes et a rendu l’agriculture très dépendante de l’industrie du machinisme et du pétrole. Cette « dépendance de sentier » (quand on a choisi une route, on en subit les conséquences et il est difficile de changer de cap) pose la question de l’autonomie et de la liberté….
  • Toute la valeur ajoutée de la production est captée par les industries d’amont ou d’aval et par les banques. Malgré une quantité de travail et d’énergie considérable, la marge nette moyenne par ha et par an reste de seulement 30€ ! Comment attirer les jeunes générations avec un tel bilan ?
  • On assiste à une prolétarisation des agriculteurs, dans le sens où ils sont de plus en plus dépendants du marché. Plus généralement, si on considère que le prolétaire est celui qui dépend du marché pour gagner son salaire, on peut d’ailleurs considérer que l’ensemble des classes moyennes en France se prolétarisent (double dépendance accrue au marché de l’emploi et au marché des denrées alimentaires).
  • Les agriculteurs ont de moins en moins de possibilité de choix (d’où les 150 suicides chaque année depuis plusieurs décennies !). On a perdu proportionnellement autant de fermes (35 %) que d’oiseaux communs (39%) en 30 ans en France. Pourtant c’est eux qu’on culpabilise.
  • Entre 1900 et 2023, le pays est passé d’une autonomie alimentaire de 98 % à 2 % ! Les kilomètres parcourus réchauffent le climat tandis que la sécurité alimentaire est réduite à néant.
  • Les consommateurs ne sont pas mieux lotis : ils subissent des injonctions à bien manger alors même qu’ils ont un accès très limité aux produits alimentaires sains. La solution pourrait consister à renverser la donne, en prenant appui sur une SSA : sécurité sociale alimentaire basée sur le schéma de la sécurité sociale.
  • Il s’agit alors, face à l’ampleur des changements nécessaires, de faire deux choses : rassembler ceux qui souffrent et subissent le système, pour apprendre à faire société ensemble, et construire un projet politique commun.
  • Une ferme sur 14 délègue TOUTES ses activités à des sous-traitant et une majorité d’entre elles sous-traite en partie des tâches autrefois internalisées : que devient le statut d’agriculteurs quand la production est assurée par des salarié.es et des sous-traitants eux-mêmes sous contrôle de « land managers » au profit d’une holding opaque ?
  • Le chiffre d’affaires du machinisme agricole est encore supérieur à celui de l’industrie des semences et même à l’industrie des pesticides, pourtant déjà astronomiques.
  • De moins en moins de mains dans la terre mais de moins en moins de terre sous la main aussi : avec les primes versées en fonction des surfaces et avec le besoin de foncier hors production alimentaire (énergies, logements, jardins privés, puits de carbone…) les conflits d’usage alimentent la spéculation foncière et les tensions sociales.
  • 60 % des terres sont louées à en moyenne 14 propriétaires différents ! Cette atomisation des locations aggrave la difficulté de transmettre des unités regroupées et viables

Samedi matin : Quelles solutions pour révolutionner notre modèle agroalimentaire ?
Qu’ils et elles représentent des collectifs ou associations portant des propositions d’ordre macro-économique ou politique, ou des initiatives locales avec une approche très directe de ces questionnements, les invité·e·s de cette table ronde ouvrent à des pistes d’actions pour bifurquer.

Avec Claire Rosodu tiers-lieu paysan de la Martinière, Mathieu Dalmais, agronome, Tanguy Martin, chargé de plaidoyer pour Terre de Liens, Hugo Persillet de l‘Atelier Paysan, Marie-Gabrielle Pfister, vice-présidente déléguée à l’environnement à Loire Forez agglomération, et Constance Rimlinger, docteure en sociologie sur les alternatives écologiques et l’écoféminisme.
Modération : Barnabé Binctin, journaliste

Synthèse:

  • Les alternatives (Amap, circuits courts, AB, Terre de Liens, Atelier Paysan…) sont très importantes pour « donner à voir » comment on peut faire autrement, changer les rapports de forces, nouer de nouvelles alliances, nourrir d’autres imaginaires par l’exemple… MAIS ils ne suffisent pas – et ne suffiront jamais, même si elles se développent – pour faire bouger la trajectoire actuelle de l’agriculture…
  • Les verrous sociotechniques (dépendances aux machines, aux semences, à la chimie par ex), les verrous politiques (la PAC, la DJA…) et les verrous mentaux (foi dans le progrès = high tech, population abandonnée, image de pollueurs…) sont encore trop puissants pour espérer réorienter facilement l’agriculture.
  • Il ne suffira pas de compléter / adapter / tempérer le système actuel qui n’est pas, par nature, modifiable (logique libérale qui retombe toujours sur ses pattes en lien avec les intérêts industriels), il ne suffira pas non plus de trouver des alternatives sectorielles (commercialisation, défense syndicale, financements…). C’est le projet politique global lui-même qui doit être juste et désirable.
  • Tant que le droit à s’alimenter correctement à un prix abordable ne sera pas garanti, il ne pourra y avoir de justice ni de démocratie alimentaire. Or, ni les mécanismes de marché ni les corrections à la marge (banques alimentaires, resto du cœur…) ne parviennent à garantir ce droit. Il faut donc socialiser la demande (les aliments) et organiser le financement de l’offre (la production). C’est le point de départ du projet de Sécurité Sociale Alimentaire.
  • Il manque des politiques publiques portant sur les « communs » comme les savoirs paysans, les semences, la terre, l’alimentation… car ces ressources ne sont pas encore sorties de la sphère marchande capitaliste.
  • Chaque lutte pour conserver ou réintroduire la vocation nourricière d’une surface mérite du soutien car c’est concrètement un potentiel de vie (de survie ?) préservé et c’est une lutte qui entraîne la société civile à comprendre les enjeux.
  • L’évolution du droit (loi foncière pour une allocation des terres plus juste, droit de brevetabilité du vivant…) reste aussi une nécessité pour ouvrir des brèches et des possibles.
  • Pourquoi pas intégrer les stratégies agro-alimentaires dans les PCR (Plan communal des risques qui contribuent, à l’échelle communale, à la prévention des risques et à la gestion des crises associées) ?
  • les Collectivités locales vont jouer un rôle déterminant si elles parviennent à faire de leur territoire des espaces accueillant pour de nouveaux paysans. Nous devons réussir, ensemble, à « faire société » autour des questions de sécurité et de justice alimentaire.

Problématique « l’avenir des paysan.e.s » Cluny – mars 2024.

La rupture de trop
L’agriculture et le monde paysans… Une longue histoire de 10 ou 12 mille ans qui a connu de nombreuses crises, évolutions, bifurcations… Mais aussi deux ruptures significatives durant le dernier siècle qui nous mettent face à un dilemme nouveau :

  1. Annoncée par le sociologue Henri Mendras en 1967 dans son ouvrage « La fin des paysans », la disparition de la paysannerie telle – que nous la connaissons sous une forme relativement stable depuis environ 1000 ans – au profit « d’exploitants » agricoles, le seul mot d’exploitant résumant assez bien la rupture.
  2. Appelée la « Révolution silencieuse », elle s’est opérée dans les années 50-60 et a enclenché un processus continue de modernisation puis d’industrialisation / standardisation des techniques, de spécialisation des productions, de concentration du foncier et de diminution de la place des paysans dans la société.
  3. Le remplacement progressif de ces exploitants par des salariés, des gestionnaires et des « land manager » de grandes entreprises de travaux agricoles et de holding aux mains d’apporteurs de capitaux.
  4. Cette deuxième rupture est qualifiée de « Révolution indicible » par F. Purseigle et B. Hervieu dans leur dernier ouvrage « une Agriculture sans Agriculteurs » parce qu’il nous manque les mots pour dire qui / quoi remplace les « exploitants agricoles » puisque cette évolution fait disparaître l’unité entre un capital – une famille – un travail qui faisait jusque-là la matrice du modèle de la structure agricole française.

Entre temps, plusieurs dynamiques viennent assombrir l’avenir de l’agriculture française et européenne :

  • Le foncier devient une denrée rare et juteuse (prime PAC) et les conflits d’usage s’intensifient (alimentation, urbanisation, loisir, réserve de biodiversité, production d’énergie, puits de carbone…) encourageant la spéculation foncière et rendant quasi impossible l’installation des jeunes.
  • La rentabilité économique des fermes, sauf dans quelques créneaux spécifiques, s’est dégradée au point de décourager nombre de fils et filles d’agriculteurs de reprendre la ferme parentale et qui pose la question de l’attractivité du métier et l’avenir des fermes.
  • La dépendanceaux machines, aux produits de synthèse, aux ressources génétiques et aux énergies fossiles n’a fait qu’augmenter, mettant un grand nombre d’agriculteurs dans une forme de subordination totale aux industries d’amont et d’aval.
  • Toute une profession, dans un vaste plan social qui ne dit pas son nom, s’enfonce dans une forme de dépression collective, accusée de polluer, de fournir une alimentation malsaine et de maltraiter les animaux … Jusqu’à un suicide de paysan tous les deux jours !

Ces dernières évolutions ne sont pas seulement un pas de plus vers la marginalisation des paysans – agriculteurs. C’est la remise en cause de leur statut même, en ouvrant une voie vers une production agricole totalement assimilée par l‘économie capitaliste, sur un modèle d’entreprise financiarisée et parfois multinationale, sur la base du travail salariat et de la sous-traitance, uniformisée et déterritorialisée.
Ce que l’on découvre, c’est que le slogan classique « pas de pays sans paysans !» ou le plus récent « pas d’agriculture sans agriculteurs !» sont trompeurs. Le capitalisme est en train d’occuper l’espace pour en faire un désert humain voué à produire des denrées de masse à bas prix sans paysans et sans agriculteur, à l’image de ce qui se passe déjà depuis plusieurs années dans certains pays de l’Est par exemple ;
Or, cette tendance n’est pas, quoi qu’en disent les tenants de cette voie, la plus favorable aux transitions agroécologiques, alimentaires et énergétiques qui sont pourtant nécessaires. Si c’est des investisseurs anonymes qui pilotent, il y a peu de chance que se soit l’intérêt général qui les guide…

Les remèdes sont connus.

Pour redresser la barre, de nombreuses analyses convergent vers les urgences suivantes :

  • Stopper l’hémorragie des agriculteurs, donc à minima remplacer les départs en retraite, voire multiplier par deux ou trois le nombre d’agriculteurs (à peine 390 000 aujourd’hui).
  • Intervenir sur l’allocation foncière, donc sur les règles d’attribution, de succession…
  • Re-territorialiser les filières agro-alimentaires, donc repenser l’ensemble des stratégies d’acteurs et inciter à relocaliser la production et la consommation…
  • Remplacer le modèle conventionnel par l’agroécologie, et donc interdire les pesticides et les engrais de synthèse, replanter des haies…
  • Refonder totalement les politiques publiques d’aide à l’agriculture, en commençant par la PAC.
  • Réenchanter le métier en lui donnant du sens et la valeur qui lui revient : nourrir les habitant-es d’un territoire et restaurer l’équilibre des écosystèmes.

Oui mais comment y arriver ?

  • Comment lutter contre l’irrépressible capitalisation et financiarisation de l’agriculture ?
  • Comment desserrer l’étau de la propriété de la terre qui bloque le foncier pour des jeunes ?
  • Comment sevrer l’agriculture de ses multiples dépendances et oser d’autres chemins ?
  • Comment attirer dans l’agriculture une génération qui se résigne peu à peu à un grand effondrement, convaincue que la société ne sera pas capable de le prévenir ?
  • Comment montrer le pari gagnant pour la profession agricole de la transition agroécologique ?
  • Avec qui ?
  • Quelles alliances pour renverser la vapeur ?

Il ne suffira pas de petites retouches, ni mêmes de transitions.

Stopper l’hémorragie et réserver quelques miettes de terre pour l’agroécologie ne suffira pas. S’adresser seulement aux jeunes écolos bifurqueurs en laissant de côté les agriculteurs actuels et les jeunes d’aujourd’hui non plus.
Nous avons besoin d’un nouveau grand récit mobilisateur pour réinventer cette activité plurimillénaire qu’est l’agriculture, un nouveau pas qui s’inscrit dans l’histoire longue de l’humanité.
C’est sur la façon de raconter cette grande bifurcation qu’il est proposé de travailler, avec comme guide de réflexions trois piliers suivants :

  1. Ce récit doit impérativement combler le vide d’espérance du monde agricole et de la jeunesse :
    • Produire des aliments est un métier respectable qui ne se résume pas à l’exemple agricole français actuel. Comment rendre à nouveau attractif ce vieux et beau métier ?
    • Comment sortir de l’imaginaire « pollueur – tueur » et glisser vers d’autres mots, d’autres réalités valorisantes ?
    • Comment donner envie aux agriculteurs cédants (bientôt en retraite) de briser la fatalité et de participer à une nouvelle rupture, positive cette fois ?
    • Qu’est-ce que la modernité pour l’agriculture du XXIème siècle ? La high tech et les trois TIC de Macron (génétique, robotique, informatique) ? Faut-il y opposer trois autres termes ? (Ecologique, territoriale, juste)
  2. Ce récit doit s’appuyer sur des concepts, des règles et des institutions renouvelés, réinventés, forcément différents du cadre conceptuel et institutionnel ancien, conçu pour une autre époque mais inadapté aux défis actuels. Nos anciens ont été très créatifs pour arriver à faire de la France une des premières puissances agricoles mondiale. A nous d’être aussi créatif pour inventer des outils, des principes, des régulations qui transforme le pays en un jardin :
    • Réformer profondément la PAC pour qu’elle cesse d’aggraver toujours plus la situation !
    • Refonder le statut des terres : comment en faire un bien communs (ni public, ni privé) ? Peut-on réfléchir à la nature de la propriété pour sortir la terre du capital d’exploitation… ?
    • Réformer les SAFER : faut-il en faire des organismes publics financés par l’impôt .
    • Refondre le code rural : une grande loi foncière s’inspirant des propositions d’E. Pisani (Utopie Foncière – 1976) et de celles portées par le collectif Nourrir, Inpact, Terre de Liens….
  3. Ce récit devra ouvrir les imaginaires pour construire un nouveau pacte social et sortir de la défiance au profit d’une coopération bienveillante, entre le monde agricole et les citoyens:
    • Depuis une vingtaine d’année, des initiatives locales ou nationales tentent d’impliquer les citoyen.e.s dans les affaires agricoles, au prix de belle réussites (les labels comme l’AB, les jardins d’insertions, l’agriculture urbaines, les Amap, Terre de liens…) mais aussi de confrontations parfois violentes (lutte contre les méga-bassine, à propos du loup…). La bifurcation agricole ne se fera pas dans le dos de la société civile. Comment renouveler les façons, les temps, les sujets qui « embarquent » les habitant.e.s, les citoyen.e.s, les contribuables, les consommateur.trice.s, les promeneurs, les épargnant.e.s.… ? comment utiliser des Conventions citoyennes régionales pour redéfinir le type d’agriculture et les priorités d’usage des terres ?
    • L’impuissance de la profession agricole, de l’Europe et des États place les Collectivités territoriales (notamment les Régions et les intercommunalités) au 1er rang des acteurs publics capables d’insuffler des dynamiques collectives territorialisées (dont les PAT sont un exemple). Comment mieux former les élu.e.s et les cadres territoriaux pour accélérer les projets ? Comment rendre « sexy » les questions agricoles dans ce milieu peu à l’aise en campagne ?
    • Pour inventer l’avenir du système alimentaire global, il nous faut réfléchir à créer de nouvelles structures qui s’insèrent dans un écosystème d’acteur et une nouvelle architecture de production / transformation / distribution qui ne passe pas par les holdings internationales qui maîtrisent les jeux actuellement. Quels sont ces nouveaux acteurs ? Faut-il crée des SCIC territoriale instance de gouvernance plurielle de ces nouveaux systèmes alimentaires.

La modernité occidentale héritée des Lumières nous a conduit à des progrès techniques certains. La révolution Française a introduit un droit de propriété exorbitant et le capitalisme nous a conduits à de violentes ruptures et nous sommes aujourd’hui dans une impasse.
A nous de retrouver l’inspiration des Lumières pour d’inventer l’avenir agricole et alimentaire en commun en passant par une autre révolution, la « Révolution lumineuse » ?

Séminaire: Quel avenir pour les usines et les ouvriers.

Compte rendu du séminaire tenu avec le soutien de la Ville de Besançon et la Région Bourgogne franche Comté à Besançon 7 décembre 2023.

Déroulement :

  • 09h 00 Présentation des Rencontres de Cluny et de la journée Claire Mallard, L’Instant d’après, présidente du groupe des élu.es écologistes à la région Bourgogne-Franche-Comté Dominique Voynet, ancienne ministre.
  • 09h 30 – L’écologie, une contrainte de plus ou une opportunité pour travailler et vivre mieux ? Philippe Moati, professeur d’économie à l’Université Paris Diderot, fondateur de l’Observatoire Société et Consommation et Sabine Tort, URI CFDT Franche-Comté, en charge transition écologique juste.
  • 10h 20 – Un point de jonction possible : la qualité de vie au travail Serge Volkoff, ancien responsable des études et statistiques sur les conditions de travail au Centre de Recherches sur l’Expérience, l’Age et les Populations au Travail.
  • 11h 00 – Christian de Perthuis, économiste du climat, créateur et animateur de la Chaire Économie du Climat de 2010 à 2020 à l’Université de Paris Dauphine-PSL.
  • 11h 45 – Réactions Charles Fournier, député, auteur du Manifeste pour une Industrie Verte, Anne Vignot, maire de Besançon Marie-Guite Dufay, présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté.
  • 14h 00– Table Ronde : Industrie et transition écologique : un défi économique, social et territorial Aurélie Brunstein, Réseau action climat, responsable industrie lourde, Dominique Thiriet, ancien secrétaire général (CGT) du site Général Electric Belfort Benoît Vernier, délégué syndical central CFDT Stellantis Auto, Florence Weber, chercheuse en socio-anthropologie au Centre Maurice Halbwachs, professeure à l’ENS de Paris Eric Oternaud, conseiller régional en charge de la conversion écologique de l’économie,  Majdouline Sbai, dirigeante d’une entreprise d’économie solidaire dans les Hauts de France.
  • 17h 00 – Réactions croisées François Ruffin, député de la Somme et Dominique Voynet, ancienne ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement .
  • 18h 00 – Conclusion par, l’Instant d’Après.

Problématique d’entrée du séminaire :

La définition et la délimitation de que sont les ouvriers et les usines d’aujourd’hui sont en elles-mêmes complexes et débattues depuis longtemps. A la fois quant à l’évolution des métiers et des process productifs (par exemple la place du travail intellectuel et les modifications liées à la révolution dite informationnelle), quant au statut des opérateurs (précariat, intermittence, sous-traitance, uberisation) ou leur place dans la hiérarchie (ouvriers, techniciens ingénieurs).
Sans entrer dans le débat évidemment nécessaire sur cette délimitation, on s’en tiendra pour notre séminaire à l’imaginaire empirique (et discutable) des ouvriers comme travailleurs manuels impliqués dans des process et des cycles industriels amont/aval de grande dimension, quelle que soit la taille de l’entreprise particulière dont ils sont les salariés. Des travailleurs liés à l’usine et au machinisme donc. Non propriétaires de leurs moyens de production et inscrits dans un rapport salarial ou assimilé. On pense par exemple aux secteurs de la métallurgie, de la chimie, de l’électronique, du bâtiment et travaux publics, de l’agroalimentaire, de l’énergie, de l’aéronautique, la navale, les transports etc.
La question de leur place dans la société française telle que les écologistes l’imaginent pour l’avenir, est à la fois une question stratégique de long terme et une question politique de court terme.  Il s’y joue leur rapport à cette classe sociale, logiquement très sensible aux visions nostalgiques et passéistes entretenues par les partis réactionnaires. Impossible de penser quelque transition que ce soit dans le cadre d’une conflictualité ouverte ou latente avec les ouvriers. Difficile de se passer de leur expérience concrète et professionnelle ou de leur sensibilité profane pour opérer sur le terrain cette transition. 
Or les écologistes sont souvent perçus par les ouvriers comme annonçant d’une façon ou d’une autre la fin de la grande production industrielle et par conséquent la réduction voire la disparition de leur place comme classe sociale. Ils sont parfois assimilés par eux aux agents et groupes sociaux dominants qui ont voulu ou accompagné la délocalisation de ces cinquante dernières années et abouti à la réduction de la part de la production industrielle dans la richesse nationale. L’écologie comme ruse, prétexte ou complice de la désindustrialisation.
Contradictoirement, les écologistes peuvent également être perçus comme plus attentifs que d’autres, à des questions auxquelles les ouvriers sont sensibilisés par leurs propres conditions de travail : le bruit, l’usage de produits toxiques, la pollution des eaux, la domination hiérarchique genrée, l’aspiration au temps libre, aux mobilités douces, à la réduction des temps de transports …
Un peu de recul historique fait en outre apparaître une donnée fondamentale : le bilan écologique global de la désindustrialisation de la France depuis quarante ans est loin d’être positif : pour sa consommation intérieure globale, la France utilise dans le monde entier davantage de matières premières et de ressources naturelles qu’ à l’époque de l’industrie triomphante dans notre pays, c’est à dire dans les années 60. Autrement dit, pour des raisons liées pour l’essentiel aux coûts de production (accessoirement à la montée de la réglementation environnementale), un pays comme la France a exporté ses pollutions de toutes natures plus qu’elle ne les a réellement réduites.

Pour mettre en marche la société vers leurs objectifs planétaires, les écologistes se trouvent donc placés devant les nécessités suivantes :

  • Contribuer, pays par pays, à réduire de façon importante la pression globale de la production et donc de l’industrie, sur les ressources mondiales, par exemple réduire celle de l’extractivisme prédateur, faire décroître les formes de mobilité les plus destructrices, l’agrochimie polluante….
  • Repenser les process productifs et les technologies dans le sens d’une moindre intensité en consommation de matières premières et en pollutions.
  • Proposer une réorganisation des consommations de façon à ce qu’elles correspondent à ces objectifs de réduction, c’est l’enjeu de l’articulation entre les politiques dites de sobriété et de justice sociale, du passage à des formes nouvelles de mutualisation… 
  • Relocaliser les productions essentielles, donner à chaque territoire une plus grande maîtrise de sa consommation, retrouver un maximum de souveraineté en matière agricole comme industrielle, favoriser les circuits courts.
  • Renouveler les cadres et les contextes de production (taille des entreprises, localisation, transformation des métiers et conversions territoriales et professionnelles.
  • Réexaminer les formes de propriété, en matière d’industrie ou d’énergie, pour définir ce qui relève des biens communs, de la propriété privée ou de la production sous gouvernance publique.

Au-delà d’une vision nouvelle de la place de l’industrie, il s’agit pour les écologistes de repenser le contrat passé avec la classe ouvrière autour de deux axes :

  • La relance d’un récit du « bonheur ouvrier » fondé sur une réduction du temps de travail hebdomadaire et sur toute la vie, une moindre exposition aux produites dangereux et aux risques s professionnels, un recul de l’intensité du travail et du despotisme d’usine, une amélioration de la reconnaissance salariale et du pouvoir de vivre, un réexamen des progressions professionnelles, une revalorisation des métiers et de la dignité ouvrière.
  • L’invention de nouvelles formes de « démocratie industrielle » permettant un débat sur quoi et comment produire et dans ce cadre donner des droits et pouvoirs nouveau aux collectifs de producteurs sur toute la chaîne de valeurs, de façon à en faire des agents de la mutation et non des opposants.

La tâche est immense, l’urgence écologique est une contrainte forte, elle pousse à une accélération de la métamorphose. A contrario, des vents contraires comme les replis nationaux/nostalgiques ou un certain degré de remilitarisation de l’industrie comme réponse aux risques de conflits à l’échelle mondiale, sont autant de tendances et de récits concurrents de celui, (à construire), des écologistes.
Le séminaire se propose donc de travailler à une méthodologie pour une approche partagée de ces problématiques de changements industriels. Il interpellera les interrogations et notions évoquées ci-dessus, en les critiquant voire en les contestant ou en les repositionnant ..
L’objectif est de sensibiliser non seulement les acteurs de l’industrie mais aussi les écologistes eux-mêmes, quant aux impacts considérables impliqués par les récits de « bifurcation », de « reconversion », de « ralentissement », de « décélération », a fortiori de « décroissance ».
Il est question, de façon prospective, d’approcher d’un double point de vue macroéconomique et sectoriel, la comptabilité des + et des -induits par les dynamiques énoncées ci-dessus. Qu’est ce qui va croitre, décroitre, être repositionné ?
Le séminaire évoque les opportunités mais aussi les limites d’un progrès technologique permettant à l’industrie une moindre consommation des ressources naturelles. Il envisagera les apports des notions comme celle de « low tech » appliquées à l‘industrie.
Il aborde les implications territoriales et humaines induites par les transformations évoquées et en particulier les mutations introduites dans les cultures ouvrières et techniciennes de métiers, dans l’appareil de formation initiale et continue, dans la diffusion de l’innovation.
Il échange sur les rythmes et les temps de cette transformation et les conditions de leur acceptabilité par le plus grand nombre. 

Déroulement du séminaire. Extraits des interventions :

Le séminaire s’est tenu dans l’ancien hémicycle bisontin du Conseil régional de Bourgogne franche Comté à l’initiative des Ecologistes de Franche Comté en partenariat avec l’Instant d’après. La mairie de Besançon et la région BFC ont appuyé cette initiative. 8o personnes ont participé studieusement à cette journée de travail, un repas convivial ayant été pris à l’occasion de la pause de midi. Barbara Romagnan, ancienne députée, Anna Maillard (les écologistes) Pascal Nicolle (Planète territoires) ont animé les différentes tables rondes qui se sont succédées.

Claire Mallard, L’Instant d’après, présidente du groupe des élu.es écologistes à la région a introduit le séminaire. Elle a notamment fait observer :
« La société écologique et solidaire est marquée par la nécessité absolue de respecter la capacité de charge écologique de la planète, de répartir mieux la ressource entre les territoires, de produire, consommer, habiter autrement. Dans une telle société, que deviennent les fondements matériels, les groupes sociaux et les institutions autour desquels s’est déployé le modèle social d’après-guerre et qui ont structuré les imaginaires nationaux, européens et d’une manière plus générale occidentaux ? Les ouvriers et les usines ? Les territoires ruraux et les paysans ? Les fonctionnaires ? L’Etat ? Le système de santé ? L’alimentation ? L’éducation ? Les métropoles ? Nous parlons beaucoup de transition, mais transition vers quoi ? Où donc les écologistes, et d’une manière plus générale, une gauche écologisée et refondée, veulent-ils en venir ? »

Dominique Voynet, ancienne ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, a rappelé le caractère industriel de la région, avec la place éminente de l’automobile et du ferroviaire dans le nord du Doubs, mais aussi les nombreux bassins industriels comme la chimie dans le dolois, la plasturgie, la lunetterie, ou l’agroalimentaire Parler de l’avenir de l’industrie, c’est certes dialoguer avec les responsables d’entreprises, mais aussi et avant tout avec les principaux concernés, les ouvriers. Elle rappelle la tradition coopérative de la région, la place de la lutte des Lip à Besançon capitale de la micromécanique, alors que Charles Piaget vient de nous quitter. Il s’agit donc d’un premier moment de réflexion qui nous permettra de voir dans quelle mesure les idées écolos de la transition ont infusé et comment nous pouvons faire pour qu’elles élargissent leur influence.
On trouvera ci-dessous le résumé des interventions, l’intégralité des interventions ayant été enregistrées.

Philippe Moati, professeur d’économie à l’Université Paris Diderot, fondateur de l’Observatoire Société et Consommation 
Le diaporama issu de l’observatoire de la consommation responsable, présenté par mr Moatti (avec toutes les précautions méthodologiques nécessaires) montre une classe ouvrière finalement assez attachée au modèle dominant de consommation. Un attachement proche de celui qu’on observe chez les catégories populaires en général, par exemple chez les gilets jaunes. Les ouvriers sont restés “modernes” au sens du siècle dernier, ce qui n’est pas surprenant puisqu’ils en ont été finalement les acteurs les plus représentatifs du modèle productiviste. Ils le sont d’autant plus qu’ils ont (à juste titre) le sentiment d’un décrochage fort de leur possibilité d’accéder au confort des catégories comme les cadres, d’une panne de l’ascenseur social, d’une perte d’accès au service public, d’un manque de reconnaissance,

  • En 1975, il fallait 36 ans à un ménage ouvrier pour atteindre le niveau de vie d’un ménage cadre.
  • En 2023, il faut 80 ans !

L’ouvrier ne comprend pas pourquoi il n’aurait pas droit au même niveau de consommation que le cadre. Dans leur rapport aux biens de consommation, les ouvriers sont parmi les mieux équipés en objets connectés de proximité ou d’appareils domestiques mais l’écart se creuse fortement quant à leur possibilité d’accès a la propriété immobilière, à la culture, aux voyages lointains, aux vacances etc. La consommation écolo leur parait souvent inaccessible Ils paraissent du coup assez sensible au récit nostalgique et passéiste et notamment aux thématiques de rejet de l’étranger L’écologie leur apparait souvent comme portée par les classes moyennes supérieures avec lesquelles ils entretiennent une relation tendue. L’écologie est vécue comme un prétexte à la désindustrialisation et a la délocalisation. On leur demande, à eux ouvriers, bien + qu’aux vrais et gros pollueurs. On surréglemente leur vie quotidienne alors qu’on fait preuve de tolérance vis à vis des classes dirigeantes. Cet état de fait impose un effort particulier des écologistes pour parler aux ouvriers :il faut aussi parler pouvoir d’achat, qualité de vie au quotidien, créer un imaginaire positif de l’avenir : ralentir, avoir du temps pour les loisirs, la famille, les relations sociales.

Sabine Tort de la CFDT Franche comté en charge de la transition écologique juste.

La transition n’est plus un sujet abstrait mais elle est au cœur de nos métiers. Pour les conditions de travail de tous les jours dans les ateliers : : “Il fait chaud, on installe des ventilateurs.” on s’adapte aux conséquences par davantage de techniques, on peut parler parfois de « mal adaptation » Pour l’avenir : 50 à 60% d’emplois sont menacés par le passage du moteur thermique à l’électrique. Si on prend l’exemple des fabricants de pots d’échappement : soit ils disparaissent, soit ils se diversifient Les ouvriers ont peur du chômage, de la précarité, de l’insécurité. Ces peurs sur la transition peuvent être un frein si on laisse se développer la pénibilité et l’insécurité au travail. Il faut les associer pour accélérer les transformations inévitables. Ces transformations sont sources d’incertitudes multiples mais aussi source d’opportunités, c’est dans le dialogue social que l’on pourra construire une transition écologique acceptable. Les conditions de travail, l’emploi et les compétences ne peuvent pas être une variable d’ajustement. Il faut anticiper, négocier, planifier les évolutions. La CFDT réfléchit et agit pour les accompagner les salariés et éviter la casse sociale. Bilan de compétences, formation… le Dialogue social doit se faire dans la proximité. L’ensemble dse mesures doivent être au plus près des réalités de travail et de terrain. Il ne faut pas subir, mais agir.

Serge Volkoff, ancien responsable des études et statistiques sur les conditions de travail au Centre de Recherches sur l’Expérience, l’Age et les Populations au Travail .


« Un point de jonction possible : la qualité de vie au travail » 
Serge Volkoff présente quelques-unes des observations faites dans le livre qu’il a écrit avec Corine Gaudard, « le travail pressé » La question de l’intensification du travail devrait être au cœur de la réflexion des écologistes. Il est nécessaire de s’intéresser au contenu concret des phases de travail et notamment aux adaptations constantes et en temps réel Les promesses (d’autonomisation, de meilleurs niveaux de formation…) n’ont pas été tenues car les modèles se sont empilés. Les contraintes se cumulent : hiérarchie, délais à respecter, tâches répétitives, suivi (surveillance) informatique… La question des modes opératoires et des aptitudes non standardisables est centrale. La polyvalence peut être une bonne chose mais pas si elle est trop intense et cadrée par des fiches de standardisation des pratiques. Le travail en dehors du lieu de travail progresse, même chez les ouvriers, on ramène du travail à la maison ! Les pénibilités se sont maintenues alors qu’on croyait qu’elles disparaîtraient. Le code du travail dit que les sacs doivent être moins lourds ? Alors on en porte deux à la fois car il faut quand même respecter les délais ! La transmission des gestes professionnels se dégrade par manque de temps ce qui peut avoir des conséquences sur les risques industriels, la qualité du produit final …L’Impact sur les fins de vie active est ainsi considérable : des postes « doux » disparaissent, tout comme les postes allégés, aménagés pour les fins de carrière (poste d’accueil, de gardiennage…)
Aussi le discours écologiste doit il porter :
  • Un message global pour réduire le volume de travail, freiner l’augmentation de la quantité de travail ?
  • La remise en cause des pollutions et la santé et la prévention en santé au travail
  • La durabilité des objets fabriqués. (Voir le Livre “Le soin des choses”)
  • Une action pour regagner sur la qualité du travail : retrouver le geste professionnel, la coopération dans la production
  • Le modèle de la hâte, qui est le modèle dominant aujourd’hui est l’adversaire numéro un de la perspective écologiste.
Donc les écologistes doivent porter une critique qui ne se limite pas au temps hors travail mais concerne le cœur du dispositif productif.

Christian de Perthuis, économiste du climat, créateur et animateur de la Chaire Économie du Climat de 2010 à 2020 à l’Université de Paris Dauphine-PSL.

La révolution industrielle a été bâtie sur le carbone fossile, qui est la cause principale du dérèglement actuel. On ne devrait pas dire transition climatique mais « révolution ». Les transformations antérieures ont été fondées sur une logique d’addition des sources d’énergies. Il faut passera une logique substitutive, c’est à dire de remplacement. Les technologies de décarbonation, de remplacement existent. On ne le faisait pas car ce n’était pas rentable. Ça va le devenir. Forcément ça veut dire désinvestissements d’un côté et investissements de l’autre : 75% des fonderies travaillent aujourd’hui pour la fabrication des moteurs thermiques.
Les sites industriels à décarboner :

  • La sidérurgie : Rappel important :  L’acier est la 1ère source d’émission au monde dans le monde industriel. Il faudra beaucoup de l’acier pour faire augmenter le niveau de vie en Afrique. Si on n’arrive pas à décarboner ce secteur, on rate quelque chose de fondamental !
  • Les raffineries (pétrole et chimie) les cimenteries, voilà les gros émetteurs. Il faut transformer les process productifs, développer l’efficacité énergétique, favoriser l’économie circulaire et une gestion écologique des déchets.
Ensuite dans les priorités :
  • Les transports (avec le développement du véhicule électrique la bataille du ferroviaire, les modes doux) Décarbonation des transports : la Chine est en avance ! Gros avantage chinois sur les chaines amonts pour se fournir en batterie et en composants… Le vélo, on a regardé ça de manière anecdotique, alors que ce sont des enjeux industriels potentiel pour la France ! Il y a beaucoup d’opportunités à saisir !! 
  • Et les industries de consommation (et en particulier les industries agroalimentaires par exemple le lait et la viande) Dans ces secteurs, on a beaucoup de main d’œuvre avec une qualité de travail déplorable (abattoir par exemple) Dans ces domaines, il faut penser filières courtes et dynamiques territoriales : comment articuler paysannerie et agro-industrie dans une perspective de transition écologique ?
  • En matière d’énergie électrique, les techniques mises en œuvre par les renouvelable sont anciennes, il faut donc industrialiser la fabrication Le solaire : Le premier panneau photovoltaïque date de 1880 ! Ce n’est pas “nouveau” mais ce n’était pas rentable du tout, donc exit pendant 100 ans. Aujourd’hui on y revient. Les prix ont massivement chuté … Mais l’industrialisation du solaire s’est massivement lancée en Chine ! Pourquoi ? Parce qu’on a pas du tout anticipé. La France a un institut de recherche du solaire mais pourtant la filière a été laissée trop longtemps à l’abandon.… L’éolien : lancé aussi dans les années 1880 aux USA. L’Europe a des atouts sur cette industrie qu’elle maîtrise bien ; Enjeux importants, surtout près de la mer. Au fond, le facteur le plus important, ce sera le facteur humain, la main d’œuvre qualifiée à tous les niveaux et en particulier la main d’ouvre ouvrière et technicienne.

Aurélie Brunstein, Réseau action climat, responsable industrie lourde.

Le réseau action Climat mène un plaidoyer pour accélérer la transition industrielle française. L’industrie va devoir baisser de 38% ses émissions d’ici 2030 par rapport à 2020. Il faut notamment accorder une attention particulière à l’industrie lourde basée sur les énergies fossiles (charbon pour l’acier, gaz naturel pour les engrais chimiques…) Depuis 10 ans les émissions de GES stagnent dans ces secteurs. C’est un défi très difficile, il suppose une transformation majeure des process de production et donc de gros investissements. Elle se heurte à la crainte d’une augmentation des prix et d’une baisse de compétitivité, Pourtant, cette stratégie serait cohérente avec une réindustrialisation sur notre territoire national. Elle nécessiterait que l’on conditionne les aides aux entreprises au respect des trajectoires de décarbonation. La commande publique et la taxe carbone aux frontières pourraient être les leviers d’une telle politique. La première étape devrait être un diagnostic secteur par secteur…avec comme préoccupation de sauvegarder l’emploi. Le plus tôt on s’y prendra et le mieux on y parviendra sinon les choses se feront de façon sauvage.57 % des ouvriers des secteurs pétrolier et gazier sont convaincus qu’une menace pèse sur leur emploi et sont prêts à une démarche de reconversion. Des actions de formation sont à déployer en lien entre les entreprises, les régions et l’état.

Charles Fournier, député, auteur du Manifeste pour une Industrie Verte.

Il affirme son accord avec les interventions précédentes et tient à souligner plusieurs points.
Il y a trois versions de la réindustrialisation du pays :

  • Une vision libérale qui parie principalement sur le marché, le laisser faire, la capacité des entrepreneurs à se porter sur les investissements nécessaires et à surfer sur les innovations technologiques qui seraient au fond la clef absolue. Le résultat en sera une énorme casse sociale et dans le meilleur des cas, des avancées très sectorielles.
  • Une vision localiste passéiste portée largement par l’extrême droite : elle fait croire qu’on doit et peut refaire de l’industrie comme avant, qu’on pourrait recommencer un cycle industriel comme dans les années 50/60. Mais ni la crise écologique, ni l’épuisement de la ressource, ni le contexte géopolitique ne le permettent.
  • Une vision écologiste qui tente d’articuler et de pondérer plusieurs dimensions et plusieurs échelles : la capacité de charge écologique des espaces, l’adaptation de l’industrie à cette capacité de charge, la relocalisation des activités, l’autonomie et la solidarité, l’emploi dans les territoires. Dans ce cadre, l’enjeu majeur de la décarbonation ne doit pas masquer tous les autres sujets : eau, pollutions (PFAS), épuisement des matières premières, qualité des sols, biodiversité. Une économie décarbonée peut être antiécologique !!

Cette vision écolo accorde de ce fait une importance particulière à la démocratisation du travail. Des nouveaux droits pour les salariés doivent être pensés face aux impacts du dérèglement climatique et à toutes les exigences de la transition. Comment les choix à faire pourront-ils être partagés et concertés à l’échelle d’un territoire, c’est un enjeu majeur.

Anne Vignot, Maire de Besançon.

Elle remercie les participants et manifeste sa satisfaction devant la tenue ici d’un séminaire sur un sujet aussi central pour nos enfants et le futur de nos territoires et de notre planète. Il y a, à ces débats, un gros enjeu de valeurs sous-jacent. Les seuls moteurs de l’économie ne peuvent être ni la vitesse ni la seule efficacité et vitesse. Quelle place donnons-nous à l’humain et au vivant ? L’extrême droite agite la question de la proximité pour aboutir à une sorte de protectionnisme généralisé et d’enfermement sur soi. Mais elle n’est pas si regardante que cela sur la mondialisation néolibérale. Il faut donc ouvrir au contraire aux bonnes échelles. Il est important d’anticiper, de réfléchir et faire ensemble afin de ne pas rester bloqué par l’anxiété et la perte de sens au travail. On doit remettre au cœur de nos débats, les questions du temps, voir la semaine de 4 jours Cela ne veut pas dire se désintéresser du contenu du travail au contraire On doit se remettre Importance à l’écoute sur la réalité du monde du travail, on doit trouver les bons lieux pour coordonner les efforts à tous les échelons de la gouvernance dans un objectif de coopération des entreprises, des institutions, des territoires…Convention des entreprises pour le climat.

Marie-Guite Dufay, présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté.

Notre région, c’est peu connu, est la première région industrielle de France avec 30 % d’emplois industriels, La question de la transition est donc majeure pour nous avec comment par exemple comment gérer la fin annoncée des véhicules thermiques Nous réfléchissons aussi à l’hydrogène (pile à combustible) en lien avec l’éolien, comme vecteur de stockage des énergies variables (solaire, éolien…) En matière de mobilités nous sommes en plein dans la question de comment faire évoluer de la voiture vers le train… L’écologie et le rapport de l’écologie à la production ainsi sont devenues LES sujets clivants dans nos assemblées ! Energies renouvelables, efficacité, sobriété foncière ou dans les transports : = vous avez la garantie que les débats seront houleux Nos 50 mesures pour la transition écologique suscitent l’opposition farouche de la droite et de l’extrême droite, parfois aussi de nos propres alliés communistes. La logique dans laquelle nous sommes, est d’associer les citoyens alors que la défiance est absolue vis à vis du politique Nous réunissons par exemple une Convention citoyenne pour le climat que nous avons lancée la semaine dernière en BOFC et nous mettons en place le GREBE, qui est une sorte de GIEC régional pour faire de la biodiversité une condition de la transition climatique.

Éric Oternaud, conseiller régional EELV en charge de la conversion écologique de l’économie, des emplois verts et de l’ESS .

Il complète les interventions précédentes par quelques remarques qui balisent la spécificité des écologistes sur ces sujets. Il fait observer par exemple que relocaliser, si c’est pour fabriquer chez nous des produits dont nous n’avons pas besoin, n’a pas de sens. Décarboner pour fabriquer en France un SUV électrique de 2.5 tonnes, cela n’a pas de sens non plus. Mieux vaut partir des besoins pour parler de réindustrialisation. De même il faut un minimum de cohérence entre les objectifs affichés et les politiques concrètes. Par exemple les écologistes agissent en permanence pour l’éco/socio conditionnalité des aides ou pour ne plus financer l’économie de concentration On a tous en tête l’exemple bien connu de Stellantis . Alors que les usines françaises du groupe dégagent zéro bénéfice par des procédés d’évasion et d’optimisation fiscales, le même groupe sollicite des aides pour décarboner !

Dominique Thiriet, ancien secrétaire général (CGT) du site General Electric Belfort.

Le slogan, « Fin du monde, fin du mois même combat » est un bon slogan, car il continue à ancrer la question sociale dans le cadre de l’écologie politique. Bien sûr, la première chose à faire, c’est accompagner les reconversions industrielles en minimisant les impacts négatifs sur les salariés Mais il faut désormais se poser la question : “Produire plus pour produire/fabriquer quoi ?” L’industrie c’est important ? Ben ça dépend pour quoi faire …Aujourd’hui qui décide ? c’est les pseudo lois du marché. La question qui nous est posée à tous, c’est comment reconnecter la production aux réalités terrestres ? Et pour cela, nous devons nous débarrasser la tête des mauvaises lectures de Darwin : apprenons à coopérer plutôt que compétiter !

Benoit Vernier, délégué syndical central CFDT Stellantis Auto.

Il rappelle le contexte de la fusion entre Peugeot et Fiat-Chrysler pour donner naissance à Stellantis groupe mondial. Aujourd’hui, les ouvriers vivent la transition écologique comme une contrainte. Ils sont éloignés de l’écologie par leurs conditions de vie, par exemple par les modes d’organisation du temps hyper flexibles qui leur imposent un moyen de transport motorisé individuel pour venir au travail. Pour emmener les ouvriers vers l’écologie, il faut leur en donner les moyens et sortir de la seule logique du profit à court terme. Tavares, ne cesse de nous dire que « la transition écologique, on l’a bien cherchée avec nos bulletins de vote. (Sous-entendu écolos) Il nous dit qu’on se tire une balle dans le pied. Il n’a aucun complexe à tenir ce discours.”

Florence Weber, chercheuse en socio-anthropologie au Centre Maurice Halbwachs, professeure à l’ENS de Paris.

La logique des dynamiques à l’œuvre est claire : La pollution par les industries a amené des oppositions qui ont poussé à la délocalisation c’est à dire aux déplacements des nuisances et à la perte d’emplois ouvriers ici. L’invention des marchés à polluer a abouti à une financiarisation de la question Aujourd’hui, les impératifs de non pollution ou de dépollution avec les questions de maintenance des outils de production mais aussi de l’environnement global de travail, sont de nouvelles sources supplémentaires d’anxiété L’évolution du climat à l’échelle planétaire s’accompagne d’interrogations, avec une grosse inconnue sur l’évolution des climats locaux avec des impacts sur les process de fabrication, les conditions de travail, la chaleur sur les lieux de production Le modèle européen de la préservation des paysages façonnés par les humains cède le pas au modèle états-unien des “réserves” de la protection de certains lieux au détriment des autres où l’on peut tout dégrader. Les autres c’est là où habitent les ouvriers …La tendance est à la dynamique de concentration : fermes énormes, gigafactories L’injonction à la mobilité est partout, parfois sur longue distance, parfois dans la proximité ou à proximité (frontaliers) Les personnes ou les groupes sociaux peu mobiles perçoivent le risque d’appauvrissement, La perception est grande de la polarisation entre les zones qui s’enrichissent et les zones qui s’appauvrissent. Au fond les catégories populaires redoutent qu’il y ait des gagnants et les perdants de la transition écologique et d’être plutôt du côté des perdants. Les objectifs globaux de l’action contre le changement climatique sont très abstraits : ne faudrait-il pas des objectifs plus précis mieux délimités, plus à la portée des gens ? Les politiques réfléchissent à l’échelle planétaire mais les actions sont souvent perçues ou réfléchies au niveau local Il faut compléter l’entrée par la planète, par une entrée par les territoires.

Majdouline Sbai, dirigeante d’une entreprise de l’économie solidaire dans les Hauts de France.

Elle confirme le propos précédent en faisant observer que les PME/PMI et les micro entreprises représentent 99 % des entreprises et 85 % des créations d’emploi C’est particulièrement vrai dans le domaine de la mode ou se pose avec une acuité particulière, coté production et coté consommation, la question de la transition. Ainsi le fashion pact initié par E. Macron exclut il les PME/PMI car le ticket d’entrée est beaucoup trop cher. Les sous-traitants sont également peu pris en compte et pourtant sans eux pas de démarche de transition. Leur vulnérabilité par rapport à l’approvisionnement, au coût de l’énergie, au bad buzz est bien plus grande que celle des grosses structures ? A contrario, leur résilience et leur agilité sont bien plus grandes. Penser la transition industrielle, c’est donc penser économie symbiotique (basée sur la coopération), c’est penser un monde plus horizontal, là est sans doute la vraie utopie écologique !

Dominique Voynet, ancienne ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement.

Quelques remarques pour ouvrir ce moment de synthèse et de réactions un peu globales Il faut faire attention au vocabulaire que l’on utilise quand on s’adresse aux autres : “ Faire des efforts », « renoncer à » On a un vrai problème d’imaginaire ! Pourquoi ce serait forcément renoncer ? Si je bois + d’eau du robinet, est-ce un renoncement ? non, c’est « économiser ». On ne va pas non plus stigmatiser les ouvriers parce qu’ils consomment !  On a beaucoup parlé « d’anticipation », mais on a pris un tel retard ! Pourquoi n’a-t-on pas réussi à convaincre davantage ? Dans cet échec je voudrais qu’on travaille sur la part de rejet envers les écolos et envers ce qu’ils portent. Il faudrait creuser cela. Il est clair qu’on n’est pas simplement sur le registre de ce qu’il faut faire (de la façon de faire ou des techniques pour faire) mais sur celui des relations sociales et même de la conflictualité sociale. Si on ne dit pas qui fait quoi avec qui et contre qui, on ira vers une sorte de guerre civile larvée, entre jeunes/vieux, entre territoires, entre écolos/pas écolos, gens d’ici et gens d’ailleurs,

François Ruffin, député de la Somme.

Il débute son intervention par un hommage à Charles Piaget, l’homme de la démocratie ouvrière, de la démocratie au travail Il faut partir du constat de l’augmentation considérable des contraintes physiques et psychiques au travail. A l’usine bien sûr, mais pas seulement, La majorité des ouvriers aujourd’hui ne se trouvent pas dans les usines ; il ne faut pas les réduire à ça. Dans l’univers ouvrier, la peur s’est installée. Le chômage prolongé, la précarité, les maladies…La dégradation du logement, l’école qui ne permet plus de s’en sortir, Il y a plusieurs niveaux d’intervention pour reprendre contact avec les ouvriers.

  • Le global : Il faut des instruments de régulation de la mondialisation, c’est un leurre que de penser qu’on peut s’en passer. Il faut des politiques industrielles.
  • Le discours écolo : L’écologie, c’est du travail, ce n’est pas la fin du travail Il faut redresser le travail humilié en héroïsant certains métiers, ceux qui forment notre quotidien Tous les jours nous bénéficions du travail des autres, regardez ici, nous avons des micros, des chaises…Les caristes, les assistantes de vie, le bâtiment : !! Il faut mettre en avant ces jobs : engagez-vous dans le bâtiment pour assurer la transition écologique. Les passoires thermiques si on continue à ce rythme, il nous faudra 2 siècles !!
  • Mais le travail lui-même doit être revisité : quand je pense au conflit des Good Year : J’espère bien que dans quelques années, on regardera comme une aberration le fait de se lever la nuit pour produire quoi que ce soit !!!!
  • Réduction du temps de travail, Conditions de travail, droits des travailleurs, formation continue, démocratie dans l’entreprise, voilà les pistes à suivre.
  • Au total nous avons à montrer montre que “la sobriété est gagnante”, c’est d’ailleurs le titre d’un livre qu’il recommande

Éléments de synthèse ex post .

Nos échanges ont d’abord clairement permis de resituer la question de l’avenir des usines et des ouvriers dans des interrogations plus globales de civilisation, qui doivent être abordées en tant que telles : qui produit quoi pour quelle utilité, quel modèle productif ? Quelle place pour la production industrielle de masse en grandes séries, à grande échelle (versus la petite production, d’ancrage local, l’artisanat, l’échange de circuit court) Quelle évolution des consommations ? Également quel rapport entre les détenteurs de capital et les salariés ? Quels types de propriété ?

Quand on parle de transition industrielle, on doit donc bien préciser ce qui relève des solutions techniques de substitution, des transformations sociales nécessitant un certain degré de conflictualité et de remise en cause des rapports de production capitalistes, l’émergence d’un modèle nouveau de consommation et de production et de distribution. Au-delà de ces questions de long terme, il reste que le diagnostic à l’instant T est extrêmement clair.

  • L’industrie doit impérativement et assez rapidement se décarboner : Pour des raisons climatiques et écologiques, pour des raisons d’équilibre et de justice géopolitiques, pour des questions de dépendance et de souveraineté des peuples et nations.
  • Elle doit se réécologiser en tenant compte de l’ensemble des éléments de la ressource, à savoir l’eau, les sols, la qualité de l’air, la biodiversité, la consommation d’espaces : comme on l’a dit, une économie décarbonée n’est pas forcément écologique.
  • Elle doit participer in fine d’un processus de démondialisation et de relocalisation, à des échelles et à un niveau qu’il appartiendra à l’avenir de négocier entre les populations, les continents, les nations et les territoires. Mais il parait compliqué que ce processus puisse se déployer à l’échelle d’un seul pays.
  • D’ores et déjà, des embryons de filières industrielles nouvelles émergent en matière énergétique, en matière de transports, de matériaux de construction, d’habillement, d’agroalimentaire, de santé. Tout comme le recyclage, la lutte contre l’obsolescence ou l’économie circulaire, elles indiquent des directions et démentent l’idée selon laquelle l’écologie signifierait la mort de l’industrie. La masse des besoins sociaux a satisfaire aujourd’hui va dans le même sens.
  • Le travail de recensement d’intervenants pour ce séminaire préparatoire, en particulier d’économistes ou de spécialistes du climat, montre cependant qu’à cette heure les études prospectives documentent de façon insuffisante l’avenir de l’industrie dans le cadre de la redirection énergétique et écologique.

La balance ou du solde décarbonation-dépollution versus énergies nouvelles-relocalisation écologique restent aujourd’hui en termes de place dans la production nationale ou européenne ou en termes d’emplois ouvriers très incertains. Au demeurant, cette place ou ce volume d’emploi sont en retour fortement liés.

  • A la restructuration de l’ensemble de l’appareil productif (par exemple de l’agriculture ou du secteur de la réparation) et à la bifurcation de toute la chaine de valeur.
  • Aux politiques macroéconomiques mises en œuvre en termes de consommation individuelles et collectives et par exemple aux priorités données ou non au logement, à la santé, au transport collectif, à l’éducation.
  • Au degré de coopération /spécialisation au moins entre les pays européens et à leur degré d’inscription, d’ouverture ou de perméabilité aux marchés mondiaux.

Le récit écolo de l’avenir industriel se trouve donc à ce jour fortement marqué contradictoirement par des pistes et évolutions prometteuses et par de grandes incertitudes auxquelles un important travail de prospective et d’élaboration programmatique devrait s’attaquer. A partir de là, force est de constater que le décalage reste à ce jour énorme entre les écologistes et les ouvriers, probablement même entre l’écologie et les ouvriers Les écologistes ne parlent guère aujourd’hui aux ouvriers ce dont témoigne par exemple la faiblesse de leur vote en faveur des écolos. C’est d’autres acteurs (industriels, technocrates, gouvernants, commerçants, publicitaires) qui parlent d’écologie aux ouvriers et la façon dont ils en parlent n’est pas forcément de nature à les en rapprocher.

En dehors des interventions proprement dites, les échanges entre les participants ont cependant incité à relativiser cette distance:

  1. Même si le rapport des ouvriers à l’écologie parait pour le moins distant, il reste que les ouvriers ne sont pas dans cette société les principaux pollueurs globaux et de loin ! Toute tentative de les culpabiliser (sur l’usage de la voiture, de la viande ou de tel ou tel objet de consommation) sera ressentie comme une injustice profonde et utilisée comme argument par les adversaires de l’écologie.
  2. L’attachement apparemment fort des ouvriers au modèle antérieur ne dit rien de leur conscience ou non du caractère inévitable du changement. A cet égard une investigation/enquête plus profonde devrait être faite de la représentation qu’ils ont des modalités possibles de ces changements.
  3. Le mouvement syndical a fortement progressé dans sa conscience de la nécessité de la transition écologique, même s’il est traversé lui-même de contradictions sur les questions globales évoquées ci-dessus.
  4. Dans un nombre de plus en plus important de conflits sociaux (alimentaire, raffinerie, papeteries, ferroviaire) les revendications ouvrières prennent en compte les impératifs écologiques de qualité et d’utilité sociale des produits, de coopération producteurs consommateurs.
  5. Enfin, dans les modes de consommation ouvriers, a contrario des comportements consuméristes souvent cités, un certain nombre d’habitudes tendent à les rapprocher de thématiques portées par les écolos : autoréparation et recyclage, bricolage, modes de déplacements doux, jardinage, entretiens du corps et choix alimentaires, rapport aux animaux…

A l’opposé des discours libéraux modernistes et des discours passéistes régressifs, il faut donc comme cela a été dit pendant le séminaire construire le récit écolo et de gauche de la transition industrielle. Ce discours ne peut pas être un discours de culpabilisation ou de stigmatisation des ouvriers Ce doit être un discours de vérité ; Il y a un véritable avenir pour l’industrie et les ouvriers dans les pays européens, mais dans une industrie profondément restructurée, quant à ses finalités productives, ses modes d’organisation et de mobilisation du travail Ce doit être un discours d’alerte : si cette restructuration se fait sous le contrôle exclusif de stratégies industrielles des grandes firmes capitalistes, elle sera impitoyable pour les ouvriers, la quantité et la qualité de leurs emplois. C’est sur ce dernier point que la promesse écologiste parait à ce stade être la plus porteuse de dialogue et d’alliance avec les ouvriers Elle signifie globalement une réduction du temps de travail à l’échelle de toute la vie et une véritable prise en compte de la pénibilité Une industrie écologique implique une extension considérable de la démocratie industrielle et des droits des salariés ouvriers : elle les associerait bien davantage a la décision et à l’orientation de la production. Elle est porteuse d’améliorations considérables de la santé au travail en premier lieu par la prévention et réduction de l’usage de produits toxiques et polluants, l’attention aux postures et positions de travail Globalement, le discours écologiste doit compléter l’idée majeure qu’il faut regagner du temps libre par cette autre idée fondamentale qu’il est urgent de changer le travail lui-même : En ralentissant les rythmes infernaux, en déstandardisant les tâches, en retrouvant la qualité du geste ouvrier professionnel et des métiers, en redonnant au collectif de travail sa capacité à fonctionner collectivement et de façon coopérative .

Séminaire: Pour une écologie décoloniale

Compte rendu du séminaire préparatoire tenu au Prêcheur (Martinique) le 28 juin 2023

Les organisateurs :

Le député Marcellin Nadeauet son équipe parlementaire :

  • Pascal Margueritte, attaché parlementaire.
  • Kenjah Ali Babar, chercheur indépendant et artiste Martiniquais.
  • Marcellin Bertrand, attaché Parlementaire.

L’observatoire terre monde :

  • Malcom Ferdinand, chercheur IRISSO/CNRS, Paris Dauphine. Auteur de l’ouvrage, Une écologie décoloniale, Penser l’écologie depuis le monde caribéen ; Président de l’Observatoire Terre-Monde, Centre d’étude des écologies politiques des outre-mer..
  • Erwan Molinié, doctorant en sociologie de l’environnement, Université Paris Cité. Membre fondateur de l’Observatoire Terre-Monde.

Le déroulement :

Cet atelier préparatoire – le premier de ce genre sur les questions d’écologie décoloniale dans les territoires ultramarins – s’est tenu du 28 juin au 1er juillet 2023 en divers lieux du territoire Martiniquais.
Il a été riche de rencontres, de débats et d’échanges avec plus de de 200 participants et participantes – collectifs, associations, personnalités politiques etc, présents sur place. C’est par une conférence de presse organisée au Lamentin dans le quartier de « Californie » qu’a débuté l’atelier préparatoire. De là, nous avons pu faire le lien avec les médias locaux (France-Antilles, Martinique la 1ère), expliciter le cadre de notre travail et plus largement participer à diffuser les évènements qui allaient se tenir dans les jours à venir. Dès le lendemain matin, une rencontre était organisée avec Garcin Malsa, ancien maire de la commune de St Anne – où se situe le quartier des Salines – et précurseur de la pensée écologique en Martinique, ainsi que des membres du collectif « Sové Lavi Salines » qui milite pour le classement du site comme Entité naturelle juridique (à l’image des îles Loyauté situées en Nouvelle-Calédonie).
Ces premiers échanges ont permis d’inscrire la thématique des récits dans la réalité Martiniquaise à travers la narration de l’histoire de ce lieu, de son évolution et des enjeux écologiques auxquels il est confronté aujourd’hui (retrait du trait de côte, pollution d’origines anthropiques…).
L’après-midi, les participant e s ont pu continuer à partager ces histoires et ces récits du territoire Martiniquais à travers une rencontre avec des habitants du quartier de Californie situé dans la ville du Lamentin. Étaient présents les membres d’un collectif local qui à travers l’apprentissage de la navigation sur les « Yoles » (bateaux traditionnels Martiniquais issus de la tradition de navigation des kalinagos) transmettent aussi l’histoire coloniale et environnementale de leur quartier et de la Martinique et militent pour la préservation de leur environnement. La journée du vendredi 30 juin a été conclue à la mairie du Lamentin en présence de : David Zobda (Maire de la commune), Garcin Malsa, Marcellin Nadeau, Malcom Ferdinand et Erwan Molinié.
Le samedi matin a eu lieu au Prêcheur commune le dernier rendez-vous de cet atelier préparatoire.

Les interventions :

Les enjeux du séminaire par Pascal Margueritte

Il s’agit de déconstruire certes, mais surtout de construire un nouveau récit qui ait du sens pour des acteurs (politiques, économiques, sociaux, associatifs ou autres…) qui veulent œuvrer pour une société dans laquelle les normes et modèles économiques de consommation, de production et d’échanges seraient repensées et adaptées pour chaque territoire. Cela implique une réflexion sur les « us et habitus », mais aussi la Gouvernance et les institutions, le rapport au travail, le territoire, le fait insulaire…Il faut changer de paradigme en intégrant la domination coloniale et la dimension planétaire.
L’écologie, comme d’autres sciences ou courants d’idées, connaît un tournant « décolonial ». il s’agit d’intégrer – ou de réintégrer – dans la recherche comme dans la vie politique, qui restent trop souvent à des niveaux environnementalistes classiques en France, une pensée de type marxien d’une part, de réintroduire aussi la pensée de nos anciens . Et pour ce changement, pour ce cheminement, on ne part pas de rien. …. Depuis des années, il y a eu des combats caribéens émancipateurs dont il faut s’inspirer. Les luttes anti-impérialistes et décoloniales, comme les mouvements de libération en Afrique ou en Amérique, ou dans la Caraïbe. L’écologie décoloniale, c’est une histoire ancienne qui ne disait pas son nom. Mais était bien là, et qui a eu des précurseurs…

Malcolm FERDINAND dans son « Écologie décoloniale » évoque Jean-Jacques ROUSSEAU comme précurseur.

Mais c’est aussi, Jacques ROUMAIN, dès 1944, notamment dans « Gouverneurs de la rosée ».

C’est Aimé CESAIRE en 1950, quand il évoque les méfaits du colonialisme sur les colonisés ET sur les « économies naturelles ». Sa Lettre à Maurice THOREZ ou le discours sur le colonialisme sont lumineux de ce point de vue. « On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés… Mais moi je veux parler d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières ».
Enfin FANON, en 1961, associait aussi enfin le processus de décolonisation politique à la nécessité de refonder les manières d’habiter et le rapport à la Terre que nous devions avoir. En effet, disait-il, « le processus colonial a cristallisé des circuits… Il faudrait peut-être tout recommencer, changer la nature des exportations et non pas seulement leur destination, réinterroger le sol, le sous-sol, les rivières et pourquoi pas le soleil ». (Les damnés de la Terre) …
Il faut ajouter la pensée et l’action pionnières en la matière engagées par Garcin MALSA, avec ses ouvrages sur « la Mutation Martinique » de 1991, « L’écologie ou la passion du vivant » de 2008, et enfin « Lyonnaj pour le changement », de 2009, par lesquels il lie la question du développement durable à celle de l’autonomie politique et de la réparation.
C’est une écologie qui veut dépasser l’écologie de type « boboiste » ou environnementaliste pour aller vers une écologie au-delà de l’Occident, vers une écologie-monde.
Celui qui traduit le mieux cette volonté, qui vient tout juste d’être traduit en français est l’anthropologue sud-américain Arturo ESCOBAR qui, avec son livre « Sentir-penser avec la terre » (2019), à partir d’une réflexion sur les luttes des indigènes en Colombie, ou la revendication zapatiste, définit une « ontologie relationnelle » reliant corps et esprit, objet perçu et sujet pensant, le sentir et le penser.
Dans cette approche nouvelle, il n’y a plus d’opposition ontologique entre l’Homme et la Nature, le moi et les autres, le sujet et son environnement. L’Homme est Nature, à partir de ses interactions, de ses liens ou de ses liants. Enseignant à l’Université de North Carolina, on comprend l’intérêt d’ESCOBAR et celui que nous pouvons avoir avec les études amérindiennes, d’Asie du Sud ou des Caraïbes, où l’Homme par essence a toujours fait corps avec la Nature.
Néanmoins il convient de mettre en débat certaines interrogations concernant les pensées décoloniales telle qu’elles sont parfois développées et perçues du moins en France. , Écologie décoloniale, telle que nous la percevons, n’est pas et ne peut être réduite une écologie « racialiste » ou intersectionnelle.
Il ne s’agit pas pour nous de nous restreindre a la question (bien sur importante) des familles issues de l’immigration, racisées, ou de nous confondre avec le Parti des Indigènes de la République (PIR) ou avec la manière dont s’expriment certains chercheurs du Réseau d’études décoloniales.
Pour nous, Caribéens, penser l’écologie décoloniale, et agir en tant qu’élu écologiste depuis la Caraïbe, ne permet pas cette approche trop restrictive.
Notre approche serait plutôt de tenter de déconstruire l’idéologie du développement, de se coltiner à l’idéologie néo-libérale dominante qui creuse les inégalités de richesses et déstabilise les tissus sociaux et écologiques. De s’attaquer à ce que CESAIRE appelait « la tyrannie de l’indifférence » … Au fond, de remettre du social dans l’écologie ! Et d’y intégrer les luttes d’émancipations d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique. D’où l’écologie-monde !
Le propos est d’abord ……celui d’une critique radicale du projet « développementiste ». Il est de sortir de l’hégémonie et de la toute-puissance épistémologique occidentale pour réintroduire les épistémologies du Sud, et pour ce qui nous concerne caraïbéenne.
Il n’est pas – il est moins ! – de savoir s’il faut plus de vélos dans la ville ou s’il faut privilégier le train à la voiture, ou l’électrique à l’hybride… qui sont autant d’approches très européo centrées… Il n’est pas non plus de penser sur des mondes exotiques ou endogènes…
Il est de penser à partir, dans ou avec ces mondes et ses imaginaires ou représentations. Depuis la Caraïbe, pour le monde. A l’instar de la « poétique de la relation » d’Édouard GLISSANT.
L’idée est de construire non pas des modernités alternatives mais des alternatives à la modernité, qu’elles soient au Nord comme au Sud.
L’idée est de « mettre en lumière à la fois la dimension politique de l’ontologie et la dimension ontologique de la politique » comme dit ESCOBAR mais en s’inspirant aussi de PéGUY qui disait que la politique était une mystique mais déplorait que la mystique se soit réduite à n’être qu’une politique.
L’intérêt de la démarche d’aujourd’hui est de permettre ce changement de paradigme idéologique et épistémologique. Nos interlocuteurs de ce jour le diront sans doute. « Décolonial », le terme s’est popularisé depuis la fin des années 1990, se distinguant des approches postcoloniales, ou encore des Subaltern Studies. D’une certaine façon, il s’est présenté comme une sorte de généalogie critique de la modernité, . C’est ainsi que s’interrogent Philippe Colin et Lissell Quiroz, dans Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine (la Découverte, 2023). En fait, il faut s’interroger pour savoir si la modernité ne serait pas le visage acceptable de la colonialité comme l’affirmait Anibal Quijano en 1992, qui conjuguait les procédures de racisation et l’accaparement des ressources naturelles et culturelles des populations conquises, et cela en amont et en aval des périodes historiques à proprement parler de la colonisation et de la décolonisation.
On pourrait parler aussi de féminisme décolonial avec Abya Yala et Lélia Gonzalez, ou de colonialité de la nature avec Fernando Coronil, Arturo Escobar, Héctor Alimonda, de la philosophie de la libération aussi avec Enrique Dussel, etc. Bref, la critique décoloniale ne part pas de rien. Elle est ancienne et s’est nourrie d’un marxisme hétérodoxe, des théories de la dépendance, des pensées de la libération, du féminisme chicana (Gloria Anzaldúa, Norma Alarcón, Cherríe Moraga, etc.), cherchant à pallier les angles morts des études postcoloniales. Pour les dépasser…Nous sommes à un moment clé de cette historiographie et de ses combats à revisiter à l’aune de nouveaux concepts.
Celui de colonialité, celui de désenveloppement du géographe Haïtien Georges ANGLADE qui l’a théorisé dans son « Éloge de la pauvreté » où il critique le rôle des ONG, et remet à l’honneur le rôle des femmes et du jardin créole dans le modèle économique à repenser. Celui de « démobilité » , qui appelle à s’interroger ici sur le fait insulaire et la saturation des mobilités insulaires, les inégalités qu’elles entraînent, et de repenser les déplacements, en tout cas les déplacements pénibles pour réfléchir à des mobilités douces, des tiers-lieux humanisés, les logements, la désynchronisation du temps de travail, la délocalisations des services de structures repensées (gares routières, aéroports, ports, etc…).Tous ces concepts sont pour nous constitutifs d’une « écologie décoloniale ». Celui de souveraineté, dont Garcin MALSA dit dans « Mutation Martinique » qu’elle se définit comme la maitrise des interdépendances dans le monde. Cela veut dire souveraineté politique, mais surtout économique et agro-alimentaire… et énergétique. Aussi ce que le Polynésien Moethaï BROTHERSON appelle la « coopération intelligente » qui vise à accompagner les peuples colonisés dans le monde vers une accession émancipatrice de souveraineté et de liberté. Et je n’aurais garde non plus d’évoquer la réparation …qui est un principe consubstantiel du projet d’écologie décoloniale et doit trouver une réponse innovante. Tous ces concepts sont pour nous constitutifs d’une « écologie décoloniale ».
Tout cela a bien un enjeu de sens et de praxis : Nous avons à penser les transitions, les pratiques pour sortir d’un monde pour entrer dans un autre. ESCOBAR, inspiré par la pensée zapatiste propose de « raisonner avec le cœur ». D’où le titre de son libre « sentir, penser avec la terre ». Notre idée, en termes d’écologie décoloniale, serait d’aller vers une « écologie-monde » qui, pour reprendre le propos d’Aimé CESAIRE, permettrait de « réconcilier l’histoire et la géographie » par la reconnaissance de « droits au territoire », de bien-commun et de solidarité. C’est vrai en matière d’environnement comme d’éducation, de recherche, d’agriculture…
Au fond, c’est peut-être retrouver le réflexe communaliste, un autre concept cher à d’Élisée RECLUS ? Bref, la transition écosystémique, de nos sociétés sera décoloniale ou ne sera pas. »

Échanges avec la salle autour du thème « quelle contribution peut apporter l’écologie décoloniale dans la définition d’une société plus écologique ? ».

Les nombreuses interventions depuis la salle feront l’objet d’un décryptage ultérieur plus complet.

Dans un premier temps Fred Reno, professeur à l’université des Antilles et Ali Babar Kenjah ont proposé une intervention axée autour de la notion de colonialité en montrant la persistance des formes du colonial dans le contexte postcolonial Martiniquais.

Présentation de l’Observatoire et la manière dont a été élaboré le concept d’écologie décoloniale depuis le monde caribéen et sur la nécessité de penser l’écologie depuis ce monde.

Les intervenants de l’observatoire ont rappelé des éléments et qu’ils ont eu l’occasion de développer dans plusieurs ouvrages et revues (par exemple la revue Ecologie et Politique) et des dizaines de conférences.
Il faut penser l’écologie politique depuis les Outre-mer français. Ces dernières années ont vu émerger dans l’espace médiatique de la France hexagonale, un ensemble d’enjeux et de conflits environnementaux se déroulant dans ces territoires.
Pourtant le constat est là : L’écologie politique « française », ses partis, ses institutions, ses penseurs et contributions théoriques se sont historiquement développés dans un mélange d’ignorance, d’invisibilisation et parfois de condescendance à l’égard des Outre-mer.
Cela est d’autant plus étonnant qu’il existe une importante littérature sur les écologies de ces territoires produite par des écrivains comme Édouard Glissant, Maryse Condé, Aimé Césaire, Patrick Chamoiseau, Chantal Spitz, Titaua Peu, par des chercheurs et enseignants-chercheurs au sein des universités locales 4 , en particulier dans le champ de l’éco critique postcoloniale , mais aussi par des militants écologistes.
Il n’est pas question ici uniquement de penser le territoire national français depuis les Outre-mer. Il s’agit bel et bien de penser l’écologie à l’horizon du monde, du vivant, de la Terre entière et de ses différents habitants humains ou non humains à partir des Outre-mer.
À travers la pluralité et diversité de territoires, il convient d’identifier trois des traits structurants des enjeux auxquels les écologies politiques sont confrontées : le Plantationocène, la non-souveraineté et les expositions aux catastrophes environnementales et aux changements globaux.
C’est bien sur le fond de cet habiter colonial, cette manière coloniale d’habiter la Terre et de se rapporter au vivant, qu’un ensemble de problèmes écologiques contemporains se poursuivent. Si les plantations des 17eme et 18eme siècles des Antilles ne sont plus les mêmes, la plantation comme modèle agricole principal se maintient à travers la production de la banane et de la canne à sucre. L’exploitation du nickel initiée durant la colonisation façonne encore l’économie de la Nouvelle Calédonie.
On doit alors décentrer le regard occidental de l’écologie mainstream et reproblématiser la question des responsabilités. C’est bien au profit d’une minorité dominante que se sont structurés les systèmes d’exploitation des ressources naturelles dont nous héritons. Des terminologies alternatives ont été proposées pour requalifier les responsabilités engagées dans ce concept d’Anthropocène, comme les termes de Capitalocène, de Plantationocène, voire de Négrocène .
Nous retenons le concept de Plantationocène, qui qualifie l’ensemble des systèmes d’exploitation des ressources naturelles et humaines instaurés pendant la colonisation au profit d’une minorité puissante et aux dépens de la majorité de leurs habitants, humains et non humains, et de leur biosphère.
Sur la non souveraineté et au vu de ces cinquante dernières années, deux remarques s’imposent. D’une part, l’assimilation des anciens territoires dans la République française n’a pas été un rempart suffisant contre la mise en place de systèmes capitalistes et extractivistes miniers comme en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, contre une agriculture intensive adossée à une non-souveraineté alimentaire structurelle et une pollution chimique des écosystèmes comme en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, ou contre la transformation de ces terres, ces mers, leurs écosystèmes et leurs habitants en sujets d’expérimentation comme dans le cas des essais nucléaires de Polynésie. D’autre part, ces ravages écologiques se sont déroulés et se déroulent encore dans le cadre d’un déni structurel de démocratie environnementale où les habitants se retrouvent, bon gré mal gré, exclus des décisions qui ont trait aux manières d’habiter leur terre.
Vulnérabilité accrue aux pollutions et aux changements climatiques, Les Outre-mer, ce sont également des écosystèmes exceptionnels et divers qui accueillent 80% de la biodiversité française parmi lesquels l’un des quinze derniers grands massifs de forêt primaire équatoriale en Guyane, la seconde plus grande barrière récifale au monde en Nouvelle-Calédonie, 20% des atolls de la planète en Polynésie française, mais également la mangrove en Martinique, le lagon de Mayotte, les cirques et les hauts de l’île de La Réunion. Leur vulnérabilité n’est pas naturelle, contrairement aux images catastrophistes montrées chaque année à la télévision, mais bien le résultat d’une longue construction sociale et politique. La pauvreté, les tentatives de destruction des cultures et modes de pensées locales, la dépendance économique de ces territoires sont parmi des causes majeures d’une situation dans laquelle leur empreinte écologique excède massivement leur sa biocapacité .
Face à cette situation, depuis des dizaines d’années se sont développées des luttes contre les politiques hors sol destructrices des environnements et des modes de vie locaux et face aux conséquences des pollutions environnementales et des perturbations des écosystèmes.
Ces luttes ont connu leur prolongement dans des expérimentations et politiques alternatives de reconquête de la souveraineté par les populations.

Message d’Aline Archimbaud, représentante de l’Instant d’après, ancienne sénatrice écologiste (extraits).

Depuis des années et des années, vos territoires sont au cœur des questions majeures de notre temps. Et les luttes qui s’y mènent anticipent, par leurs objets et par leurs formes, nos propres combats et les renforcent. De l’action contre l’infâme chlordécone déversé par centaines de tonnes sur les champs, à la préservation de la qualité de l’eau, de la défense des mangroves ou de la biodiversité spécifique insulaire à la bataille en faveur de la pêche locale, De la promotion de la créolité et des savoirs populaires en matière d’agriculture, d’alimentation ou de pharmacopée, à l’action contre le surtourisme et le bétonnage des côtes en passant par la promotion des droits des peuples premiers, De la bataille contre l’accaparement de l’économie par une minorité possédante jusqu’à la promotion d’une université caribéenne de qualité, il y a une continuité fondamentale .
Cette continuité est ce à quoi nous sommes profondément attachés e s, à savoir la lutte contre le colonialisme résiduel ou contemporain, dans ses formes de domination diverses et variées, avec en positif le soutien aux mouvements pour une souveraineté reconquise dans tous les domaines. Mais ce qui nous lie va au-delà de cet attachement. Il s’agit de la construction partagée d’un autre modèle de vie en société, fondée sur la recherche d’une articulation nouvelle entre la promotion des droits universels à l’égalité et à la démocratie et la spécificité de la relation à la nature et à la terre, ce que d’aucuns nomment du terme si intéressant de « pluriversité». Je vous renvoie à la très belle tribune de Patrick Chamoiseau parue dans le monde de jeudi et intitulée « Renouer avec un rapport poétique au vivant »
L’écologie décoloniale n’est pas le supplément d’âme exotique ou géopolitique d’une écologie européenne, elle est partie prenante d’une critique radicale et indispensable de l’extractivisme, de l’économie de plantation et de comptoir, c’est à dire des bases matérielles du système productiviste d’accumulation auquel il s’agit désormais de tourner le dos partout, et en particulier en France. Comment sinon engager la bataille contre la dépendance aux fossiles ou celle pour la souveraineté alimentaire ou pour la préservation des océans ? Comment croire qu’on aura la paix dans un monde ou des millions de personnes subissent d’ores et déjà les drames écologiques massifs dont ils ne sont pas la cause ? Au-delà encore, l’écologie décoloniale est le point de départ et le cheminement de la remise en cause de l’écrasement par la modernité technoscientifique, des civilisations et sociétés qui ont précédé le capitalisme et la conquête impériale. Elle fonde, en légitimité, en droit et en actes, la prise en compte indispensable de la diversité et de la pluralité des cultures. Elle est pour nous la base de la remise en cause de la construction culturelle raciste qui pourrit la société française et les sociétés européennes. L’écologie décoloniale est le point d’entrée par lequel, l’égale dignité de tous et toutes étant enfin reconnue, l’alliance pourra se nouer entre les écologistes et les catégories populaires. Celles issues de la migration mais pas seulement, car toutes sont accablées par le mépris dans lequel les groupes dominants tiennent les savoirs et savoir-faire profanes.
Le député Marcellin Nadeau et le Maire de la commune du Prêcheur Antoine Petitjean ont ensuite exposé comment ils s’inspiraient de ce concept d’écologie décoloniale afin de penser la politique à l’échelle de leur circonscription et de leur commune. Leur intervention a été par la suite complétée et illustrée par Antoine Petitjean qui coordonne un projet du réaménagement du centre-bourg de la commune du Prêcheur dans lequel cette dimension d’écologie décoloniale a été intégrée dans la manière dont a été pensé et réalisé le projet.

Nouveaux échanges avec la salle.

S’en sont suivis de nombreuses discussions, débats et échanges avec la salle autour de la nécessité de continuer à mettre en avant et de développer cette thématique de l’écologie décoloniale en la pensant depuis les territoires ultramarins et avec ses habitants et habitantes. La journée s’est ensuite clôturée par une prestation musicale de Icess Madjoumba qui mêle de nombreuses influences musicales caribéennes dans sa musique.

Perspectives post séminaire.

Ces quelques jours en Martinique auront donc contribué à mettre en lumière les enjeux d’écologie décoloniale en partant des récits énoncés par ses habitants et habitantes rendus visibles à travers les nombreux événements organisés. Les relais que nous avons pu avoir dans la presse (participation de Marcellin Nadeau au journal de Martinique la 1ère, de Pascal Margueritte à la radio la première, interview de Erwan Molinié dans France Antilles) attestent d’une visibilité grandissante de ces thématiques.
Ainsi, la notion d’écologie décoloniale a beaucoup à apporter dans la constitution d’une société plus écologique et plus juste depuis les territoires ultramarins et au-delà.
Nul doute que cette première expérience marque le début d’une série de débats et de discussions nécessaires sur cette thématique qui ne cesseront de croître. Forts de cette expérience Martiniquaise, nous pointons ici la nécessité d’élargir ces échanges dans le cadre d’autres territoires ultramarins par la suite. Débats, discussions et échanges à apporter et à restituer lors des prochaines rencontres de Cluny en mars prochain. Pour celles-ci, l’équipe organisatrice de cet atelier préparatoire sera présente afin des restituer les travaux menés en Martinique. Dans ce cadre il convient aussi d’engager des discussions sur le format de cette table-ronde ainsi que sur les participants à inviter et notamment sur la proposition d’inviter Robert Xovie du FNLKS ou encore Patrick Chamoiseau.

Séminaire: Un exemple de bien commun terrestre inaliénable : l’eau !

Compte rendu du séminaire préparatoire tenu à la Maison des trois quartiers Poitiers Lundi 16 octobre 2023.

Intervenants :

  • Sophie Gosselin, Philosophe, autrice de « La condition terrestre » aux Éditions Seuil;
  • Marlène Lecomte, Avocate en droit public de l’environnement;
  • Stéphane Boisselier, Professeur d’histoire médiévale.

Objet du séminaire:

Longtemps, les communs naturels – l’eau, les terres, les forêts – ont été gérés, et préservés comme tels. Malheureusement, nous vivons une ère d’accaparement des ressources, qui conduit à une exploitation souvent synonyme de destruction des communs. Si l’eau se fait rare, il est d’autant plus urgent de recommencer à la gérer ensemble, à la protéger par le droit. Une telle gestion partagée peut être la source d’un renouvellement de nos institutions, plus démocratiques et à même de respecter les limites planétaires. Par une approche philosophique, juridique et historique, les différents intervenant·e·s ont été invités à un éclairage sur les menaces actuelles et futures qui pèsent sur l’eau comme commun. Ont été ensuite évoquées ensuite des pistes de solutions à mettre en œuvre pour garantir la préservation de nos communs pour toutes et tous. Ces éléments seront ensuite rapportés ors du débat de Cluny, confrontés aux réactions d’intervenants n’ayant pas participé au séminaire et lis en discussion avec la salle.


Interventions :

Karim Lapp a rappelé le lien intime qui nous unissait à l’eau, condition de possibilité de la vie et de l’ensemble de nos activités. Condition nécessaire : un Français consomme en moyenne 250L d’eau directe, et 5000L d’eau indirecte quotidiennement, dont plus des deux tiers sont destinés à l’agriculture.
En dépit de cette importance vitale, l’eau reste un bien marchand, qui s’échange et se négocie. De fait, alors que l’eau d’usage direct et la préservation des écosystèmes sont vitaux, les usages agricoles et industriels sont considérés comme prioritaires par les décideurs. C’est donc le rapport à l’eau comme marchandise qui doit être réinterrogé, par une approche juridique, historique et philosophique.

Marlène Lecomte a souligné que les règles de propriété applicables à l’eau dépendent de son origine :
l’eau de pluie tombant sur un terrain, les eaux de source, celles d’un étang peuvent être appropriées – l’eau courante circule quant à elle librement, sans pouvoir être appropriée, contrairement au lit de la rivière. – l’eau de mer est une chose commune.
A l’occasion de la loi sur l’eau, le législateur avait inscrit que l’eau faisait « partie du patrimoine commun de la nation ». Néanmoins, la jurisprudence ne consacre aucune portée normative à ce dispositif juridique.
Si une partie de l’eau reste appropriable, son usage est encadré : l’irrigation peut être limitée, par exemple. Juridiquement, les usages assurant la salubrité et la sécurité publique ainsi que la distribution en eau potable doivent primer ; vient ensuite une conciliation entre les différents besoins des acteurs économiques. C’est pourquoi existent des outils de planification (les SAGE et les SDAGE) pour assurer une gestion durable et équilibrée de la ressource, que celle-ci soit privée ou publique. La gouvernance de l’eau mérite néanmoins d’être réformée afin que le public puisse participer davantage à cette gestion.

Stéphane Boisselier – Professeur d’histoire médiévale. Alors que notre droit actuel est essentiellement tributaire du droit romain, celui-ci a été abandonné pendant le Moyen-Âge. Durant cette période, la notion de propriété des eaux reste très floue : c’est l’usage qui domine.
Le cœur du statut juridique de l’eau se rattache plutôt à la terre : celui qui dispose d’une parcelle a le droit d’utiliser l’eau qui s’y trouve ; des dispositifs sont prévus pour prévenir les pollutions de l’eau des voisins. Dans le monde arabo-musulman, un intérêt particulier se manifeste pour les eaux souterraines.
Il est difficile de savoir si l’eau est alors considérée comme un commun. Elle est certes perçue comme l’état primordial des choses, comme le relate la Genèse. Il arrive tout de même qu’elle soit gérée en commun, par exemple autour des moulins, à partir du XIe siècle, le long de canaux. On note également des exemples de tribunaux pour juger les mauvais usages de l’eau, comme avec le Tribunal des eaux de Valence, tenu par les usagers eux-mêmes.
Le Moyen-Âge connaît également des périodes d’appropriation : dans le Languedoc, au XIIIe siècle, un étang de montagne a ainsi été asséché, avec des tranches de terres attribuées en fonction de l’investissement dans le processus d’assèchement ; l’eau y était pourtant gérée de façon communautaire, et la dite communauté a été expulsée. Il y a là, selon l’historien, une appropriation et une exploitation précapitaliste.

Sophie Gosselin – Agrégée et docteure en philosophie. Le basculement écologique que nous vivons aujourd’hui dessine une nouvelle relation à l’eau. Ce basculement de l’anthropocène invite à quitter le paradigme anthropocentrique. Les « Peuples de l’eau » ne revendiquent pas un territoire : ce qui fait peuple n’est pas une unité territoriale ou un collectif humain, mais la préservation de communs.
Depuis Locke, les droits de la nature ont été oxymoriques : la nature était ce qui n’avait pas de droit, ce sur quoi s’exerçaient les droits des humains. Ces « nouveaux » droits ne sont pas portés par des mouvements écologistes, mais par des collectifs autochtones, qui reconnaissent la personnalité d’êtres naturels, comme les rivières pour les Maoris.
Mais pour nous, qui n’avons pas ces catégories conceptuelles, la reconnaissance d’une personnalité juridique pour des êtres naturels, comme des cours d’eau, conduit à transformer nos représentations et nos institutions politiques. Des mouvements apparaissent ainsi, par exemple dans le bassin de la Loire (le Parlement de Loire) ; pour ne plus se considérer comme Français ou Tourangeaux, mais habitant du bassin de la Loire.
Ces nouveaux dispositifs sont nécessaires, étant donnée l’inadéquation de ceux existants au respect des communs. Par exemple, pour les comités de bassin, la norme reste économique ; et tout le monde vient y participer pour défendre son intérêt. Une nouvelle gouvernance est à inventer.

Conclusion provisoire : Lisa Belluco

Le changement climatique renforce les tensions sur l’eau, et nous oblige à réinterroger les modalités de sa gestion. D’autres ailleurs ont respecté cette eau comme une personne – et ont réussi à la préserver. Si leur représentation du monde, et le rapport qu’ils entretiennent avec lui peuvent sembler éloignés de la nôtre, le détour médiéval montre que d’autres avant nous l’ont géré en commun ici – avec succès. L’émergence de l’État-Nation, de la logique de marché et du mythe de la nécessité d’industrialiser l’agriculture pour nourrir la population ont justifié toutes les violences à l’égard de la paysannerie traditionnelle, et conduisent aujourd’hui à une appropriation illégitime de l’eau. Une alternative politique doit émerger.

Temps d’échange avec la salle :

Sur l’évolution de la réglementation sur l’eau, Lisa Belluco a confirmé que notre droit était l’un des plus ambitieux au monde – si seulement il était appliqué. L’enjeu est donc de faire en sorte que les services de l’État, et en premier lieu le préfet, appliquent les lois en vigueur. Pour cela, il faut construire un rapport de force politique. En outre, il faut également sanctuariser les zones de captage, pour qu’il n’y ait là aucun pesticide épandu.

Sur les instances pour défendre l’eau devant la justice, Sophie Gosselin a rappelé l’importance de renouveler nos instances démocratiques, et de quitter notre paradigme anthropocentrique.

Sur l’origine des communs, Stéphane Boisselier a noté que la notion revenait depuis 20 ans dans le débat académique et politique. Des communs ont largement existé jusqu’au début de l’ère industrielle ; certains considèrent même que c’est pour gérer ensemble ces communs que des communautés d’habitants se sont formées, jusque dans les villes.

Séminaire: Villes, métropoles, rural, Réaménager les territoires ?

Compte rendu du séminaire préparatoire tenu le vendredi 8 décembre 2023, au Palais du Luxembourg.
Coorganisé par la Fondation de l’écologie politique et des sénateurs Guillaume Gontard et Daniel Salmon

Programme du séminaire :

Introduction par Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère.

« La ruralité, avenir de la transformation écologique ? »

  • Roseline Mouchel-L’Abbé, doctorante en sciences de gestion à l’Université de Rennes 2 – Laboratoire LiRIS, qui mène ses travaux à la Confédération Nationale des Foyers Ruraux sur les droits culturels et l’approche du changement. 
  • Simon Audebert, doctorant du CEE de Sciences Po Paris, observateur de la convention des maires ruraux organisée par la AMRF.
  • Remi Guidoum, responsable biodiversité de la Fondation pour la Nature et l’Homme, auteur d’un rapport sur les enjeux du Zéro artificialisation net (à paraître en janvier 2024).

« Les villes après le Métropolisation, quelles perspectives ? »

  • Clémence Selva, architecte, co-autrice de La ville stationnaire (Acte Sud, 2023), avec Philippe Bihouix et Sophie Jeantet.
  • Manuel Domergue, Directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, auteur de la note « Métropoles, fuir ou agir » (Fondation de l’écologie politique, 2021).
  • Jérémy Camus, Vice-président de la Métropole de Lyon.
  • Damien Deville, anthropologue et géographe, auteur de La société jardinière, Le Pommier, 2023.

Conclusion par Daniel Salmon, sénateur d’Ille-et-Vilaine.


Résumé des échanges :

Placer l’écoute au centre.

Il est utile de s’appuyer sur l’exercice démocratique organisé par la Confédération nationale des Foyers Ruraux. Rappel sur cette organisation composée de près de 1500 foyers ruraux à travers toute la France, plusieurs centaines de milliers personnes qui contribuent à ses activités, très variés (culturelles, sportives, etc.) dont la mission première est de faire vivre les territoires, de maintenir et recréer du lien social et de rendre accessible les différentes activités. Un congrès 2023 basé sur un processus long de prospective et d’écoute. De prospective car volonté de baser le plan d’action 2023-2027 sur une vision à 2046 (pour les 100 ans des foyers ruraux) qui intègre les bouleversements écologiques à l’œuvre.

Cet exercice démocratique vient confirmer qu’il est possible de construire un chemin de transition depuis les gens, depuis les territoires, depuis des expériences et des expertises locales qui ne font pas suffisamment l’objet d’écoute. L’écoute et l’expérimentation sont deux termes clés pour avancer. Dans le cadre de la CNFR, cela à aboutit à la production d’un plan d’action qui assume une forme de radicalité.

Pouvoir se loger sans bétonner la France.

Début 2024 va paraitre un rapport de la Fondation pour la Nature et l’homme et de la Fondation Abbé Pierre. De nombreux éléments seront partagés à ce moment-là.
L’enjeu est assez simple. Il y a des centaines de milliers de personnes ou de famille en France qui ne sont pas bien logés. En même temps s’exprime la volonté de réduire ou d’arrêter l’artificialisation des sols.
Se pose la question des logements vacants. Une majorité d’entre eux sont détenus par des propriétaires qui ne possède que ce bien en plus de leur résidence et qui n’ont pas les moyens de les rénover. Un enjeu est de les accompagner plutôt que de les pousser à les vendre notamment à d’autres multi-propriétaires ou entreprises qui concentrent une part importante des logements en locatio. Question des aides, ou de mise en place de foncières solidaires qui permettent de revitaliser des logements ou des lieux dans les ruralités.
Il importe aussi de poser la question de la sous-occupation des logements. De nombreux logements trop grands pour leurs habitants. Cela est souvent lié au départ des enfants et au maintien des personnes âgés dans des habitations qui par ailleurs sont peu adaptées au grand âge.

Le Zéro artificialisation net (ZAN), une opportunité pour les ruralités ?

Alors que certains présentent le ZAN comme un projet anti-ruralité, et si de nombreuses associations trouvent que le choix fait par le gouvernement d’attribuer à toutes les villes et village le même droit à artificialiser est une mesure technocratique éloignée de toute réalité, se dégage des échange un soutien assez large à l’idée que le ZAN est une opportunité pour repenser en profondeur la manière de faire ville ou village.
Exemple du Triève, en Isère, où dès avant la mise en place du ZAN, trois villages de la communauté de commune avaient mis en place dans les années 2000 un PLU très restrictif sur la construction. Il se trouve que ce sont ces trois villages qui ont le plus accueilli de nouveaux habitants. La contrainte mise sur la construction a rendu plus rentable la réhabilitation de l’existant et la redynamisation des centre-bourg.

Rééquilibrer les territoires.

Le vivant se meure dans des territoires qui ne sont plus habités. Exemple des Cevennes, où la biodiversité s’écroule par ce que les agro-écosystèmes ont été abandonnés. Cela doit interroger les tendances à penser que pour sauver le vivant, il faut abandonner certains territoires. La vraie question est donc plutôt la manière de vivre dans chaque territoire pour respecter les grands équilibres écosystémiques.
Mais pour permettre d’habiter, de se réinstaller dans certains territoires, il faut que les services publics soient, là, qu’il soit possible de se déplacer sans risquer de croiser la route d’un poids-lourds qui s’ils ont été bannis des grandes villes, sont le quotidien de nombreux territoires ruraux.
Le rééquilibrage est aussi une bataille culturelle. La production de films et séries prend trop souvent pour décors les grandes villes quand ce n’est pas Paris. La diversification de cette production culturelle est un levier pour repeupler nos mondes, repeupler nos projections et montrer que les territoires ruraux ou périurbains sont des espaces désirables à investir.
Enfin, un rééquilibrage qui passe par le fait de redonner de l’épopée aux choses simples. Le club de scrabble, le dernier facteur à livrer le courrier dans un marais habité (à Saint-Omer). Faire des choses communes une cause commune est un levier politique important.
Rééquilibrer, enfin, nécessite de miser sur l’existant. Détruire pour reconstruire serait une catastrophe écologique. Mais pour cela, il faut les incitations financières pour rendre cela possible.

L’avenir écologique des pavillons ?

Pour beaucoup de personne, les pavillons font partie de leur patrimoine (réel ou culturel) . S’ils sont liés à des choix politiques qui ont contribué à dépasser les limites planétaires, se pose la question de le possible de venir écologique, notamment autour des jardins et de politiques jardinières qui doivent être encouragés en tant que possibles réservoirs de biodiversité.
Cette question fait débat, les pavillons et leurs jardins étant associé à un imaginaire peu soutenable, qui se traduit aujourd’hui par des rénovations basées sur des extensions qui viennent renforcer le phénomène de la hausse rapide du nombre de mètre carré par habitant.
Dans les espaces pavillonnaires, enjeux de la préservation des cœurs d’ilots. La densification a tendance à faire sacrifier ces espaces souvent dédiés aux jardins. Fondamentale de les préserver.

Le choix de la densification des villes ?

L’idée selon laquelle la densification des villes permet de réduire l’impact écologique du logement doit être plus que relativisé. Aujourd’hui, 50% de l’acier, 100% des granulats vont à la construction de la ville et de ses infrastructures. Par ailleurs, la ville dense a besoin de nombreux services qui produisent de l’étalement urbains (entrepôts, data center, etc). La densification produit donc aussi de l’étalement. Toute densification n’est pas bonne à prendre.

Décroître la construction.

Tous les scenarios de neutralité carbone en 2050 repose sur des hypothèse de décroissance de la construction. Se pose donc la question de la sobriété constructive et foncière, comme développé dans La ville stationnaire. Besoin de sortir de l’injonction de la croissance et de l’attractivité, ne serait-ce que pour se concentrer et concentrer les moyens financiers sur l’adaptation des villes aux changement climatique.
Dans le cadre de Territoires pilotes, création d’un Atlas du foncier invisible pour accompagner les élus et techniciens à repenser leur développement urbain.
Enjeux notamment d’arrêter de construire autour de l’imaginaire de la famille avec deux ou trois enfants qui aujourd’hui aliment la construction de l’logements toujours plus grands.
Il faut avoir en tête que pour 35 logements construits, cela génère 5 logements vacants. La construction produit de la vacance. Voilà aussi pourquoi le ZAN est utile.

Adapter les logements au vieillissement.

La population vieillit mais les politiques urbaines ne le prennent pas en compte. Besoin de logements adaptés (plain-pied, pas trop grands, etc) pour encourager leur changement de logements avant que ne viennent les soucis liés au vieillissement. Libérant ainsi des logements sous-occuper pour d’autres.
Plus largement, besoin de penser ces programmes urbains qui proposent de la mixité fonctionnelle, qui facilite l’entraide et la cohabitation des générations.

Les métropoles contre la métropolisation ?

La ville stationnaire ne porte pas nécessairement de critique des métropoles, mais de la métropolisation, de l’extension de ces dernière, des politiques d’attractivités. Enjeux de ne plus attirer mais d’essaimer, redistribuer, de permettre des coopérations entre territoires.
Le rapport à la ville, aux métropoles, au logement est parfois ambigu parmi les écologistes. Nécessite de ne pas essentialiser la ville, ses habitants et ses élus.
La métropolisation est condamnable en ce qu’elle produit un ensemble de dominations, un fait urbain, un fait géographique sur les autres territoires. Elle attire les ressources et créé des dépendances.
Mais les métropoles peuvent être des alliés contre la métropolisation.
La fondation Abbé Pierre est ainsi favorable à la montée en puissance des institutions métropolitaine. La métropole de Lyon, seule institution basée sur le suffrage direct et la confrontation des programmes politiques, est un bon exemple. Pensée et obtenue par un des grands artisans de la métropolisation lyonnaise, elle offre des leviers d’action et de transformation sans comparaison avec les autres territoires.
Constat peut même être fait que les dynamiques de domination et d’inégalités sont d’autant plus grands là où les institutions métropolitaines sont les plus faibles (Marseille – Paris)
Dans une société démocratique, il est nécessaire de faire avec des dynamiques, notamment des choix de résidences, qui ne vont pas s’inverser du jour au lendemain. La préférence pour les métropoles ou pour certaines régions est un point de départ avec lequel il faut travailler.

Retour d’expérience à Lyon.

Le vote écologiste s’est en partie construit en opposition à la stratégie de métropolisation de Gérard Collomb. La création de la métropole, et la fusion avec le département devait permettre de poursuivre cette dynamique. Mais l’institution est aussi un levier pour penser autre chose.
Notamment un autre rapport aux territoires. Aujourd’hui, la dépendance alimentaire de la Métropole de Lyon se joue sur périmètre de 50 km autour de la place Bellecour. C’est deux fois la surface de la Métropole de Lyon.
ans ce périmètre de 50 km, la seule structure qui fédère les EPCI est l’agence d’urbanisme, qui sert aujourd’hui pour accueillir dialogue et coopération sur les sujets alimentaires, de mobilité, habitat.

Séminaire: Penser la transformation écologique des services publics.

Participants ou contributeurs.

Raphaël Yven, directeur d’hôpital. Sandra Demestre, inspectrice des finances,Dominique Méda Marine Fleury, université d’Amiens, Claude Garcia, polytechnique Genève ,Jean-François Collin, conseiller à la Cour des comptes, Angel Prieto, chef du service économique de l’Etat en région, DREETS Auvergne-Rhône-Alpes Pascal Schuster, service du premier ministre,Virginie Valentin, DGA des Hospices civils de Lyon Noëlle Bernard, médecin en charge du groupe de transformation écologique au CHU de Bordeaux.Rudy Chouvel, responsable adjoint du pôle “OFFRES” de la fédération hospitalière d France.Laurence Quinaut, DGS de la ville de Rennes Laurent Fussien, DGS de la ville de Malaunay et membre de la Fabrique des Transitions Valérie David, DGA Brest Métropole CFDT – Jocelyne Cabanal Céline Danion, consultante, administratrice de lieux culturels, ancienne conseillère de la ministre de la Culture Sandrine Fournis (CEREMA, ex MTE) Céline Marty, université de Bourgogne Camille Morio, université de Grenoble Godefroy Beauvallet (DRH Corps des Mines) Agathe Cagé Fabrice Gendre, DGS de la ville de Colombes Alexandre Fremiot, DGS de l’agglomération Plaine Commune

1ère séance : “le discours de la méthode”. 24 juin à Paris.

Dans la perspective d’une société écologique, la puissance publique a un rôle central pour impulser, pour accompagner et pour protéger. Cela implique une transformation complète de l’Etat et de ses modes d’action, dans un délai contraint pour répondre aux enjeux écologiques et sociaux. La complexité de l’ensemble des chantiers à conduire rend ce processus incertain et empreint de contradictions, ce qui nuit à la lisibilité pour le citoyen. Ce séminaire est l’occasion de penser la conduite de cette transformation.

La première séance du séminaire, a été dédiée à l’identification des contradictions. Celles-ci peuvent être issues d’écarts et de tensions au sein du cadre réglementaire, sur les ressources mobilisées, sur la capacité à agir.

Les participants sont invités à identifier ces contradictions au regard de leur expérience professionnelle ou de travaux de recherche.

Cette première séance permet d’identifier les pistes de réponse aux trois questions suivantes :

Les participants sont invités à identifier ces contradictions au regard de leur expérience professionnelle ou de travaux de recherche.

Cette première séance permet d’identifier les pistes de réponse aux trois questions suivantes :

  1. Quelles sont les conséquences pour l’action publique ?
  2. Quelles contradictions risquent d’en découler ?
  3. Quels moyens et méthodes sont à déployer pour dépasser ces contradictions ?

L’État fait face à des défis inédits à horizon 2035 et 2050. Les transitions à mener devront être portées au travers de chocs structurels dans un délai court.

La dynamique de développement antérieure s’est bâtie sur la consommation d’énergie carbonée à haute intensité et sur la stabilité des prix relatifs des matières premières.

A partir des années 80, l’approche néo-managériale s’est traduite par une recherche de la performance interne des organisations publiques et la contraction de la dépense publique avec un objectif de réduction des niveaux de fiscalité.

Si cette stratégie a permis de prolonger une trajectoire de croissance du PIB, elle a aussi conduit à un retour des inégalités et à une dégradation des limites planétaires.

Dans ce contexte, l’Etat paraît disposer de capacités limitées pour piloter ces transitions. Il est confronté à des blocages importants lorsqu’il cherche à adapter son action aux enjeux écologiques. Après 30 ans d’une action limitée, il fait face à présent à un mur d’investissement à financer. Pour relever les défis écologiques, la construction d’un récit de cette transformation apparaît nécessaire, mais sera-t- elle suffisante ? Lorsque ce récit est trop en décalage avec la réalité et les attentes des citoyens, naissent des tensions sociales, voire des crispations identitaires.

1/ Les défis à relever

Les défis écologiques sont systémiques (multiples, multidimensionnels et entrelacés) selon les analyses d’Edgar Morin et de Bruno Latour. Conserver une vision stratégique des enjeux et des obstacles devient pour les décideurs publics le premier défi pour conduire cette transformation.

Pour décliner ces principes au niveau des services publics, Le Lierre propose les axes suivants :

  • Objectif n°1 : construire des services publics soutenables en réduisant leur empreinte écologique à un niveau compatible avec les limites planétaires ;
  • Objectif n°2 : garantir l’égalité d’accès aux services publics en particulier aux personnes vulnérables, et assurer la pérennité de ces services publics pour les générations futures;
  • Objectif n°3 : garantir la légalité de l’action publique ;
  • Objectif n°4 : veiller à l’efficience de l’action publique et au bon usage des deniers publics;

Ses dernières années ont vu des avancées dans notre compréhension des phénomènes à l’œuvre. La révision des politiques publiques doit se poursuivre pour prendre en compte les constats scientifiques. En 2023, sept des huit limites planétaires sont dépassées.

Graphique 1 -Evaluation des limites planétaires en 2023.

Cette situation est source de risque systémique pouvant provoquer ou contribuer à engendrer des crises. Pour la seule limite du climat, le rapport Stern de 2007 chiffrait le coût de l’inaction à 20 % du PIB annuel.

2/ Définir une méthode.

En gardant à l’esprit ces défis, Le Lierre propose d’articuler la méthode de la transformation autour de quatre concepts : la soutenabilité, la solidarité, la responsabilité et le dialogue.

Atteindre la soutenabilité.
Pour « Imaginer (vite), l’État qu’il nous faut ! », ont été identifiés 4 leviers :

  • La mise en place d’un référentiel des soutenabilités au crible duquel passer toutes les politiques et dispositifs publics pour s’assurer de leur caractère « durable, systémique et légitime »,
  • Le renouvellement des modalités de planification, indispensables à l’atteinte de nos objectifs de réduction de gaz à effets de serre,
  • La mise en place d’un « continuum délibératif » qui permette de clarifier ce qu’il est pertinent de soumettre à la participation citoyenne et selon quelles modalités,
  • La création d’un « orchestrateur » des soutenabilités pour conseiller, évaluer, outiller, mettre en cohérence et transformer les services publics aux côtés des agents publics.

Une exigence de solidarité.

La construction de ce référentiel ne sera possible qu’à condition de mieux intégrer à cette transformation une exigence de solidarité, sur trois dimensions de l’équité. Les plus vulnérables d’entre nous sont les plus exposés aux conséquences des risques écologiques. Ils disposent de moins de ressources pour adapter leur mode de vie aux nouvelles contraintes, pour se protéger et pour limiter leur impact. Ces adaptations sont des nécessités. Il ne s’agit pas de payer deux fois plus cher un billet d’avion pour un week-end à Rome, mais de faire le choix contraint de dépenser plus d’une année de revenu pour acquérir un véhicule électrique. Cette exigence implique aussi de penser les conséquences de la transformation pour l’emploi public et d’accompagner les agents. Cette exigence est d’anticiper les effets des politiques publiques de soutenabilité sur la solidarité nationale et territoriale pour conduire les arbitrages.

Agir en responsabilité.

Dans cette optique, Dominique Méda expose l’enjeu central de sobriété pour les services publics et une note préparatoire du Lierre proposée par deux médecins et trois cadres du secteur hospitalier identifie les blocages qui entravent la transformation de l’hôpital pour mettre en place ces principes d’action. Ces blocages sont aujourd’hui ressentis par de nombreux agents du secteur public qu’ils soient à l’État en administration centrale ou déconcentrée, dans les collectivités territoriales en charge de la planification ou de porter des initiatives territoriales, ou dans les hôpitaux et les établissements sanitaires et sociaux.

Faire vivre le dialogue.

a capacité à dialoguer apparaît comme la première compétence du décideur public, que ce soit dans la prise de décision démocratique, dans le dialogue social et dans l’organisation du travail. Les principes d’action du « nouveau management public » apparaissent aujourd’hui obsolètes et inadaptés pour déployer les principes d’action d’un service public écologique. Sa transformation conduit à identifier les attentes des agents publics dans la définition de leur rôle et de leurs missions.

La relation entre citoyens et service public est au cœur de cette réflexion. Le « continuum délibératif » nécessite un récit qui clarifie le rôle de la puissance publique autour du triptyque « impulser – accompagner – protéger ». Les syndicats sont les premiers interlocuteurs pour négocier les conditions de la transformation. Ils sont force de proposition avec notamment le pacte du pouvoir de vivre porté par la CFDT et le plan de rupture élaboré par le « collectif Plus jamais ça » avec la CGT.

3/ Les 4 contradictions bloquant la transformation des services publics.

Freins identifiés : Quatre types ont été identifiés.

  1. Défi Financier : Lutter contre la crise environnementale implique des investissements colossaux à toutes les échelles, pour un montant estimé par le rapport Pisani-Mahfouz à 35 Md€ d’ici 2030. Cependant, les réglementations financières actuelles des acteurs publics (Etat, collectivités, hôpitaux, mais aussi des opérateurs comme SNCF Réseau) contraignent le financement des investissements nécessaires.  Les normes comptables ne sont pas non plus adaptées à une appréhension extra-financière de la valeur créée par l’argent public (ou des dommages causés). 
  2. Coopération entre les acteurs: Obtenir des résultats en matière d’action climatique nécessiterait que chaque entité dispose d’objectifs à son niveau et pense son action dans le cadre du nouveau régime climatique. Cela implique d’arbitrer sur les scénarios que l’on retient. Les institutions et acteurs publics se doivent d’être exemplaires pour entraîner le reste de la société. Agir efficacement contre la crise environnementale requiert une grande coordination au sein de chaque organisme et une capacité accrue de coopération entre les différentes strates administratives du territoire (nationale, régionale, départementale, communale…). Aujourd’hui, le dialogue entre les différents agents, entre les échelles, entre les services et l’État est trop limité et les objectifs fixés à l’échelle des territoires ne tiennent pas comptent des capacités à agir de chacun. Ainsi, nous devons créer de nouveaux espaces de dialogue et un nouveau cadre administratif dans lequel la coopération serait promue et facilitée.
  3. Formations et compétences: Le troisième frein identifié est celui du manque de formations des agents publics et de l’accès à l’information. En effet, le manque d’expertise et de connaissance dans les collectivités, les opérateurs et les services de l’État pour formuler des propositions réfléchies est un frein majeur. Les décideurs sont confrontés à du non-savoir et auraient besoin d’accéder à une expertise externe neutre et à des capacités d’ingénierie. D’un côté, les agents font face à un manque de lisibilité quant aux ressources à utiliser. D’un autre côté, s’appuyer sur le savoir et les initiatives des agents publics peut être d’une grande richesse et nécessaire pour comprendre et appréhender les enjeux de terrain et un enjeu motivationnel important dans un contexte de crise d’attractivité de la fonction publique.
  4. Désirabilité et acceptabilité: Comme l’affirmait Bruno Latour, lutter contre la crise environnementale, c’est d’abord porter un nouveau projet de société, incarner un nouveau paradigme social, économique et environnemental. Le manque de désirabilité et les fortes externalités associées à l’action freinent l’engagement des élus et des décideurs publics. Manque aujourd’hui un discours audible et installé sur une sobriété désirable. La construction de ce discours, pour accompagner des actions de transformation réelle, sera un défi majeur. A contrario, il n’est pas possible de placer les gens devant des choix impossibles, notamment sur le plan financier. Des objectifs précis et les moyens d’y parvenir doivent être profondément réfléchis et compréhensibles par l’ensemble des citoyens. La dimension délibérative et le cadre démocratique doivent être repensés pour devenir moteurs d’une transition acceptée et désirée. Cela concerne aussi la démocratie sociale avec l’enjeu de pouvoir conduire de vraies négociations sur ces sujets.

Nous devons collectivement chercher à développer notre sensibilité, notre créativité, cultiver le sens de la collectivité, et la mise en place d’un récit commun pour orienter nos actions et leur donner du sens. Pour être architecte du changement, il faut savoir ce qu’il faut changer, y croire, ne pas être occupé à faire autre chose et savoir comment agir.

2e séance : Décider . 25 novembre.

Nous traversons une crise environnementale sans précédent. Il est urgent que les services publics portent et accompagnent avec efficacité la transition écologique sur l’ensemble du territoire français et ce, dans un délai contraint par les impératifs environnementaux.

Quelle approche de la décision ? La décision peut être considérée comme un point de jonction entre deux phases : Celle de la mise sur agenda, de la construction d’un problème, de la définition de solutions Celle de la mise en œuvre de la nouvelle politique décidée (puis, dans l’idéal, de son évaluation). Ces phases sont cruciales dans la réussite des bifurcations de l’action publique et il est donc proposé d’y accorder un égal intérêt. La décision est très rarement individuelle, ces trois phases font intervenir une pluralité d’acteurs (politiques, administratifs, socio-professionnels, associatifs, citoyens…) qui défendent des intérêts différents.

La rationalité des décideurs se trouve limitée par de très nombreux facteurs :

  • Le caractère incomplet du savoir détenu ;
  • L’impossibilité d’anticiper l’ensemble des conséquences des décisions ;
  • Le caractère entrecroisé des problèmes posés ;
  • Le fait que l’information disponible est filtrée par des croyances, des idées, des intérêts personnels… ;
  • L’impact des habitudes, routines et choix passés ;
  • Les contraintes organisationnelles… mille-feuille bureaucratique ;
  • Les contraintes économiques et financières ;
  • Il existe par ailleurs une préférence pour le statu quo qui pousse à privilégier des politiques de « petits pas ».

La décision n’est pas à appréhender comme un moment, mais comme un processus, souvent marqué par la mobilisation d’intérêts sectoriels et l’exercice de jeux de pouvoir qui donnent lieu à des conflits et/ou à des compromis. Il arrive en outre que les solutions précèdent les problèmes : en fonction des solutions disponibles et des marges de manœuvre existantes, on va mettre à l’agenda tel problème public dont la résolution apparaît plus accessible, plutôt que tel autre. On pourrait ainsi décrire la décision comme la résultante de quatre types de variables : les problèmes qui se posent, les solutions disponibles, les acteurs présents dans le processus, et le contexte de choix.La mise en place de structures de débat collectif dans le cadre de décisions publiques permet d’élargir le cercle des acteurs qui interviennent dans les processus décisionnels et peut conduire à reformuler les problèmes selon des points de vue différents (ceux des usagers par exemple).

Un cadre conceptuel complexe :

La décision en matière d’environnement revêt une triple complexité. En effet, elle est à la fois transversale, c’est-à-dire qu’elle fait intervenir de nombreux secteurs différents (transports, énergie, agriculture…), mais combine également des thématiques multiples, voire incompatibles (thématiques politiques, économiques, sociales…). La décision est le résultat d’un compromis, faisant intervenir une multitude d’acteurs ayant des intérêts différents : elle est un processus, le fruit d’une action collective. On pourrait ainsi décrire la décision comme la résultante de quatre types de variables : les problèmes qui se posent, les solutions disponibles, les acteurs présents dans le processus, et le contexte de choix.

Les constats scientifiques paraissent établis depuis les années 70, et consolidés dès 1992. Cependant, malgré des décennies de recherche scientifique, la connaissance climatique et environnementale reste incomplète (science des sols par exemple) Ainsi, en découlent deux conséquences majeures comme le précise Pierre Lascoumes : il existe une réelle difficulté à prendre des décisions en matière environnementale et « les programmes d’action publique environnementale sont souvent flous quant aux objectifs à atteindre. Ils énoncent des buts généraux qui laissent de larges marges d’interprétation aux acteurs sociaux. ».

Dans cette optique, réfléchir à la décision vise à identifier à quel moment les décideurs font le choix d’engager une administration dans une voie de transformation. Il ne s’agit pas de nommer et de cibler les “mauvaises décisions”.
La situation actuelle de nos services publics ne semble pas être uniquement le résultat en France d’une somme de “mauvaises décisions”, mais bien d’une difficulté systémique à assumer des décisions difficiles de transformation.

L’absence de bifurcation des services publics est d’abord liée à deux conditions préalables : la capacité à comprendre de sujets nouveaux complexes et la nécessité de bâtir un consensus international robuste. A présent, ces deux conditions ont connu des avancées notables au travers d’accords internationaux et de politiques publiques mieux conçues, mais des blocages importants continuent à limiter la transformation des services publics.
Dans ces moments cruciaux, le rôle des décideurs prend tout son sens. Il leur faut décider : qui mène ces transformations, selon quel calendrier et avec quels moyens.

Propositions d’axes à approfondir

A partir de ces éléments généraux il est proposé d’approfondir lors de la dernière séance les éléments suivants en les traitant sous l’angle des transitions écologiques:

  • La place et le rôle du dialogue social dans la construction de la décision.
  • La construction des décisions en interne aux administrations et le rôle des agents : comment échapper au sentiment que « ça se décide sans moi » ?
  • La prise de décision avec les citoyens/les usagers.
  • Le besoin d’expertise.
  • Le juste niveau de décision.
  • Le besoin de partage de « communs » pour construire la décision collective.
  • L’importance d’opter pour un niveau de pluralisme et de pluridisciplinarité adapté à la complexité du problème (exemple des « staff » pluridisciplinaires à l’hôpital).