Compte rendu du séminaire préparatoire tenu au Prêcheur (Martinique) le 28 juin 2023
Les organisateurs :
Le député Marcellin Nadeauet son équipe parlementaire :
- Pascal Margueritte, attaché parlementaire.
- Kenjah Ali Babar, chercheur indépendant et artiste Martiniquais.
- Marcellin Bertrand, attaché Parlementaire.
L’observatoire terre monde :
- Malcom Ferdinand, chercheur IRISSO/CNRS, Paris Dauphine. Auteur de l’ouvrage, Une écologie décoloniale, Penser l’écologie depuis le monde caribéen ; Président de l’Observatoire Terre-Monde, Centre d’étude des écologies politiques des outre-mer..
- Erwan Molinié, doctorant en sociologie de l’environnement, Université Paris Cité. Membre fondateur de l’Observatoire Terre-Monde.
Le déroulement :
Cet atelier préparatoire – le premier de ce genre sur les questions d’écologie décoloniale dans les territoires ultramarins – s’est tenu du 28 juin au 1er juillet 2023 en divers lieux du territoire Martiniquais.
Il a été riche de rencontres, de débats et d’échanges avec plus de de 200 participants et participantes – collectifs, associations, personnalités politiques etc, présents sur place. C’est par une conférence de presse organisée au Lamentin dans le quartier de « Californie » qu’a débuté l’atelier préparatoire. De là, nous avons pu faire le lien avec les médias locaux (France-Antilles, Martinique la 1ère), expliciter le cadre de notre travail et plus largement participer à diffuser les évènements qui allaient se tenir dans les jours à venir. Dès le lendemain matin, une rencontre était organisée avec Garcin Malsa, ancien maire de la commune de St Anne – où se situe le quartier des Salines – et précurseur de la pensée écologique en Martinique, ainsi que des membres du collectif « Sové Lavi Salines » qui milite pour le classement du site comme Entité naturelle juridique (à l’image des îles Loyauté situées en Nouvelle-Calédonie).
Ces premiers échanges ont permis d’inscrire la thématique des récits dans la réalité Martiniquaise à travers la narration de l’histoire de ce lieu, de son évolution et des enjeux écologiques auxquels il est confronté aujourd’hui (retrait du trait de côte, pollution d’origines anthropiques…).
L’après-midi, les participant e s ont pu continuer à partager ces histoires et ces récits du territoire Martiniquais à travers une rencontre avec des habitants du quartier de Californie situé dans la ville du Lamentin. Étaient présents les membres d’un collectif local qui à travers l’apprentissage de la navigation sur les « Yoles » (bateaux traditionnels Martiniquais issus de la tradition de navigation des kalinagos) transmettent aussi l’histoire coloniale et environnementale de leur quartier et de la Martinique et militent pour la préservation de leur environnement. La journée du vendredi 30 juin a été conclue à la mairie du Lamentin en présence de : David Zobda (Maire de la commune), Garcin Malsa, Marcellin Nadeau, Malcom Ferdinand et Erwan Molinié.
Le samedi matin a eu lieu au Prêcheur commune le dernier rendez-vous de cet atelier préparatoire.
Les interventions :
Les enjeux du séminaire par Pascal Margueritte
Il s’agit de déconstruire certes, mais surtout de construire un nouveau récit qui ait du sens pour des acteurs (politiques, économiques, sociaux, associatifs ou autres…) qui veulent œuvrer pour une société dans laquelle les normes et modèles économiques de consommation, de production et d’échanges seraient repensées et adaptées pour chaque territoire. Cela implique une réflexion sur les « us et habitus », mais aussi la Gouvernance et les institutions, le rapport au travail, le territoire, le fait insulaire…Il faut changer de paradigme en intégrant la domination coloniale et la dimension planétaire.
L’écologie, comme d’autres sciences ou courants d’idées, connaît un tournant « décolonial ». il s’agit d’intégrer – ou de réintégrer – dans la recherche comme dans la vie politique, qui restent trop souvent à des niveaux environnementalistes classiques en France, une pensée de type marxien d’une part, de réintroduire aussi la pensée de nos anciens . Et pour ce changement, pour ce cheminement, on ne part pas de rien. …. Depuis des années, il y a eu des combats caribéens émancipateurs dont il faut s’inspirer. Les luttes anti-impérialistes et décoloniales, comme les mouvements de libération en Afrique ou en Amérique, ou dans la Caraïbe. L’écologie décoloniale, c’est une histoire ancienne qui ne disait pas son nom. Mais était bien là, et qui a eu des précurseurs…
Malcolm FERDINAND dans son « Écologie décoloniale » évoque Jean-Jacques ROUSSEAU comme précurseur.
Mais c’est aussi, Jacques ROUMAIN, dès 1944, notamment dans « Gouverneurs de la rosée ».
C’est Aimé CESAIRE en 1950, quand il évoque les méfaits du colonialisme sur les colonisés ET sur les « économies naturelles ». Sa Lettre à Maurice THOREZ ou le discours sur le colonialisme sont lumineux de ce point de vue. « On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés… Mais moi je veux parler d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières ».
Enfin FANON, en 1961, associait aussi enfin le processus de décolonisation politique à la nécessité de refonder les manières d’habiter et le rapport à la Terre que nous devions avoir. En effet, disait-il, « le processus colonial a cristallisé des circuits… Il faudrait peut-être tout recommencer, changer la nature des exportations et non pas seulement leur destination, réinterroger le sol, le sous-sol, les rivières et pourquoi pas le soleil ». (Les damnés de la Terre) …
Il faut ajouter la pensée et l’action pionnières en la matière engagées par Garcin MALSA, avec ses ouvrages sur « la Mutation Martinique » de 1991, « L’écologie ou la passion du vivant » de 2008, et enfin « Lyonnaj pour le changement », de 2009, par lesquels il lie la question du développement durable à celle de l’autonomie politique et de la réparation.
C’est une écologie qui veut dépasser l’écologie de type « boboiste » ou environnementaliste pour aller vers une écologie au-delà de l’Occident, vers une écologie-monde.
Celui qui traduit le mieux cette volonté, qui vient tout juste d’être traduit en français est l’anthropologue sud-américain Arturo ESCOBAR qui, avec son livre « Sentir-penser avec la terre » (2019), à partir d’une réflexion sur les luttes des indigènes en Colombie, ou la revendication zapatiste, définit une « ontologie relationnelle » reliant corps et esprit, objet perçu et sujet pensant, le sentir et le penser.
Dans cette approche nouvelle, il n’y a plus d’opposition ontologique entre l’Homme et la Nature, le moi et les autres, le sujet et son environnement. L’Homme est Nature, à partir de ses interactions, de ses liens ou de ses liants. Enseignant à l’Université de North Carolina, on comprend l’intérêt d’ESCOBAR et celui que nous pouvons avoir avec les études amérindiennes, d’Asie du Sud ou des Caraïbes, où l’Homme par essence a toujours fait corps avec la Nature.
Néanmoins il convient de mettre en débat certaines interrogations concernant les pensées décoloniales telle qu’elles sont parfois développées et perçues du moins en France. , Écologie décoloniale, telle que nous la percevons, n’est pas et ne peut être réduite une écologie « racialiste » ou intersectionnelle.
Il ne s’agit pas pour nous de nous restreindre a la question (bien sur importante) des familles issues de l’immigration, racisées, ou de nous confondre avec le Parti des Indigènes de la République (PIR) ou avec la manière dont s’expriment certains chercheurs du Réseau d’études décoloniales.
Pour nous, Caribéens, penser l’écologie décoloniale, et agir en tant qu’élu écologiste depuis la Caraïbe, ne permet pas cette approche trop restrictive.
Notre approche serait plutôt de tenter de déconstruire l’idéologie du développement, de se coltiner à l’idéologie néo-libérale dominante qui creuse les inégalités de richesses et déstabilise les tissus sociaux et écologiques. De s’attaquer à ce que CESAIRE appelait « la tyrannie de l’indifférence » … Au fond, de remettre du social dans l’écologie ! Et d’y intégrer les luttes d’émancipations d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique. D’où l’écologie-monde !
Le propos est d’abord ……celui d’une critique radicale du projet « développementiste ». Il est de sortir de l’hégémonie et de la toute-puissance épistémologique occidentale pour réintroduire les épistémologies du Sud, et pour ce qui nous concerne caraïbéenne.
Il n’est pas – il est moins ! – de savoir s’il faut plus de vélos dans la ville ou s’il faut privilégier le train à la voiture, ou l’électrique à l’hybride… qui sont autant d’approches très européo centrées… Il n’est pas non plus de penser sur des mondes exotiques ou endogènes…
Il est de penser à partir, dans ou avec ces mondes et ses imaginaires ou représentations. Depuis la Caraïbe, pour le monde. A l’instar de la « poétique de la relation » d’Édouard GLISSANT.
L’idée est de construire non pas des modernités alternatives mais des alternatives à la modernité, qu’elles soient au Nord comme au Sud.
L’idée est de « mettre en lumière à la fois la dimension politique de l’ontologie et la dimension ontologique de la politique » comme dit ESCOBAR mais en s’inspirant aussi de PéGUY qui disait que la politique était une mystique mais déplorait que la mystique se soit réduite à n’être qu’une politique.
L’intérêt de la démarche d’aujourd’hui est de permettre ce changement de paradigme idéologique et épistémologique. Nos interlocuteurs de ce jour le diront sans doute. « Décolonial », le terme s’est popularisé depuis la fin des années 1990, se distinguant des approches postcoloniales, ou encore des Subaltern Studies. D’une certaine façon, il s’est présenté comme une sorte de généalogie critique de la modernité, . C’est ainsi que s’interrogent Philippe Colin et Lissell Quiroz, dans Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine (la Découverte, 2023). En fait, il faut s’interroger pour savoir si la modernité ne serait pas le visage acceptable de la colonialité comme l’affirmait Anibal Quijano en 1992, qui conjuguait les procédures de racisation et l’accaparement des ressources naturelles et culturelles des populations conquises, et cela en amont et en aval des périodes historiques à proprement parler de la colonisation et de la décolonisation.
On pourrait parler aussi de féminisme décolonial avec Abya Yala et Lélia Gonzalez, ou de colonialité de la nature avec Fernando Coronil, Arturo Escobar, Héctor Alimonda, de la philosophie de la libération aussi avec Enrique Dussel, etc. Bref, la critique décoloniale ne part pas de rien. Elle est ancienne et s’est nourrie d’un marxisme hétérodoxe, des théories de la dépendance, des pensées de la libération, du féminisme chicana (Gloria Anzaldúa, Norma Alarcón, Cherríe Moraga, etc.), cherchant à pallier les angles morts des études postcoloniales. Pour les dépasser…Nous sommes à un moment clé de cette historiographie et de ses combats à revisiter à l’aune de nouveaux concepts.
Celui de colonialité, celui de désenveloppement du géographe Haïtien Georges ANGLADE qui l’a théorisé dans son « Éloge de la pauvreté » où il critique le rôle des ONG, et remet à l’honneur le rôle des femmes et du jardin créole dans le modèle économique à repenser.
Celui de « démobilité » , qui appelle à s’interroger ici sur le fait insulaire et la saturation des mobilités insulaires, les inégalités qu’elles entraînent, et de repenser les déplacements, en tout cas les déplacements pénibles pour réfléchir à des mobilités douces, des tiers-lieux humanisés, les logements, la désynchronisation du temps de travail, la délocalisations des services de structures repensées (gares routières, aéroports, ports, etc…).Tous ces concepts sont pour nous constitutifs d’une « écologie décoloniale ». Celui de souveraineté, dont Garcin MALSA dit dans « Mutation Martinique » qu’elle se définit comme la maitrise des interdépendances dans le monde. Cela veut dire souveraineté politique, mais surtout économique et agro-alimentaire… et énergétique. Aussi ce que le Polynésien Moethaï BROTHERSON appelle la « coopération intelligente » qui vise à accompagner les peuples colonisés dans le monde vers une accession émancipatrice de souveraineté et de liberté. Et je n’aurais garde non plus d’évoquer la réparation …qui est un principe consubstantiel du projet d’écologie décoloniale et doit trouver une réponse innovante. Tous ces concepts sont pour nous constitutifs d’une « écologie décoloniale ».
Tout cela a bien un enjeu de sens et de praxis : Nous avons à penser les transitions, les pratiques pour sortir d’un monde pour entrer dans un autre. ESCOBAR, inspiré par la pensée zapatiste propose de « raisonner avec le cœur ». D’où le titre de son libre « sentir, penser avec la terre ». Notre idée, en termes d’écologie décoloniale, serait d’aller vers une « écologie-monde » qui, pour reprendre le propos d’Aimé CESAIRE, permettrait de « réconcilier l’histoire et la géographie » par la reconnaissance de « droits au territoire », de bien-commun et de solidarité. C’est vrai en matière d’environnement comme d’éducation, de recherche, d’agriculture…
Au fond, c’est peut-être retrouver le réflexe communaliste, un autre concept cher à d’Élisée RECLUS ? Bref, la transition écosystémique, de nos sociétés sera décoloniale ou ne sera pas. »
Échanges avec la salle autour du thème « quelle contribution peut apporter l’écologie décoloniale dans la définition d’une société plus écologique ? ».
Les nombreuses interventions depuis la salle feront l’objet d’un décryptage ultérieur plus complet.
Dans un premier temps Fred Reno, professeur à l’université des Antilles et Ali Babar Kenjah ont proposé une intervention axée autour de la notion de colonialité en montrant la persistance des formes du colonial dans le contexte postcolonial Martiniquais.
Présentation de l’Observatoire et la manière dont a été élaboré le concept d’écologie décoloniale depuis le monde caribéen et sur la nécessité de penser l’écologie depuis ce monde.
Les intervenants de l’observatoire ont rappelé des éléments et qu’ils ont eu l’occasion de développer dans plusieurs ouvrages et revues (par exemple la revue Ecologie et Politique) et des dizaines de conférences.
Il faut penser l’écologie politique depuis les Outre-mer français. Ces dernières années ont vu émerger dans l’espace médiatique de la France hexagonale, un ensemble d’enjeux et de conflits environnementaux se déroulant dans ces territoires.
Pourtant le constat est là : L’écologie politique « française », ses partis, ses institutions, ses penseurs et contributions théoriques se sont historiquement développés dans un mélange d’ignorance, d’invisibilisation et parfois de condescendance à l’égard des Outre-mer.
Cela est d’autant plus étonnant qu’il existe une importante littérature sur les écologies de ces territoires produite par des écrivains comme Édouard Glissant, Maryse Condé, Aimé Césaire, Patrick Chamoiseau, Chantal Spitz, Titaua Peu, par des chercheurs et enseignants-chercheurs au sein des universités locales 4 , en particulier dans le champ de l’éco critique postcoloniale , mais aussi par des militants écologistes.
Il n’est pas question ici uniquement de penser le territoire national français depuis les Outre-mer. Il s’agit bel et bien de penser l’écologie à l’horizon du monde, du vivant, de la Terre entière et de ses différents habitants humains ou non humains à partir des Outre-mer.
À travers la pluralité et diversité de territoires, il convient d’identifier trois des traits structurants des enjeux auxquels les écologies politiques sont confrontées : le Plantationocène, la non-souveraineté et les expositions aux catastrophes environnementales et aux changements globaux.
C’est bien sur le fond de cet habiter colonial, cette manière coloniale d’habiter la Terre et de se rapporter au vivant, qu’un ensemble de problèmes écologiques contemporains se poursuivent. Si les plantations des 17eme et 18eme siècles des Antilles ne sont plus les mêmes, la plantation comme modèle agricole principal se maintient à travers la production de la banane et de la canne à sucre. L’exploitation du nickel initiée durant la colonisation façonne encore l’économie de la Nouvelle Calédonie.
On doit alors décentrer le regard occidental de l’écologie mainstream et reproblématiser la question des responsabilités. C’est bien au profit d’une minorité dominante que se sont structurés les systèmes d’exploitation des ressources naturelles dont nous héritons. Des terminologies alternatives ont été proposées pour requalifier les responsabilités engagées dans ce concept d’Anthropocène, comme les termes de Capitalocène, de Plantationocène, voire de Négrocène .
Nous retenons le concept de Plantationocène, qui qualifie l’ensemble des systèmes d’exploitation des ressources naturelles et humaines instaurés pendant la colonisation au profit d’une minorité puissante et aux dépens de la majorité de leurs habitants, humains et non humains, et de leur biosphère.
Sur la non souveraineté et au vu de ces cinquante dernières années, deux remarques s’imposent. D’une part, l’assimilation des anciens territoires dans la République française n’a pas été un rempart suffisant contre la mise en place de systèmes capitalistes et extractivistes miniers comme en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, contre une agriculture intensive adossée à une non-souveraineté alimentaire structurelle et une pollution chimique des écosystèmes comme en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, ou contre la transformation de ces terres, ces mers, leurs écosystèmes et leurs habitants en sujets d’expérimentation comme dans le cas des essais nucléaires de Polynésie. D’autre part, ces ravages écologiques se sont déroulés et se déroulent encore dans le cadre d’un déni structurel de démocratie environnementale où les habitants se retrouvent, bon gré mal gré, exclus des décisions qui ont trait aux manières d’habiter leur terre.
Vulnérabilité accrue aux pollutions et aux changements climatiques, Les Outre-mer, ce sont également des écosystèmes exceptionnels et divers qui accueillent 80% de la biodiversité française parmi lesquels l’un des quinze derniers grands massifs de forêt primaire équatoriale en Guyane, la seconde plus grande barrière récifale au monde en Nouvelle-Calédonie, 20% des atolls de la planète en Polynésie française, mais également la mangrove en Martinique, le lagon de Mayotte, les cirques et les hauts de l’île de La Réunion. Leur vulnérabilité n’est pas naturelle, contrairement aux images catastrophistes montrées chaque année à la télévision, mais bien le résultat d’une longue construction sociale et politique. La pauvreté, les tentatives de destruction des cultures et modes de pensées locales, la dépendance économique de ces territoires sont parmi des causes majeures d’une situation dans laquelle leur empreinte écologique excède massivement leur sa biocapacité .
Face à cette situation, depuis des dizaines d’années se sont développées des luttes contre les politiques hors sol destructrices des environnements et des modes de vie locaux et face aux conséquences des pollutions environnementales et des perturbations des écosystèmes.
Ces luttes ont connu leur prolongement dans des expérimentations et politiques alternatives de reconquête de la souveraineté par les populations.
Message d’Aline Archimbaud, représentante de l’Instant d’après, ancienne sénatrice écologiste (extraits).
Depuis des années et des années, vos territoires sont au cœur des questions majeures de notre temps. Et les luttes qui s’y mènent anticipent, par leurs objets et par leurs formes, nos propres combats et les renforcent. De l’action contre l’infâme chlordécone déversé par centaines de tonnes sur les champs, à la préservation de la qualité de l’eau, de la défense des mangroves ou de la biodiversité spécifique insulaire à la bataille en faveur de la pêche locale, De la promotion de la créolité et des savoirs populaires en matière d’agriculture, d’alimentation ou de pharmacopée, à l’action contre le surtourisme et le bétonnage des côtes en passant par la promotion des droits des peuples premiers, De la bataille contre l’accaparement de l’économie par une minorité possédante jusqu’à la promotion d’une université caribéenne de qualité, il y a une continuité fondamentale .
Cette continuité est ce à quoi nous sommes profondément attachés e s, à savoir la lutte contre le colonialisme résiduel ou contemporain, dans ses formes de domination diverses et variées, avec en positif le soutien aux mouvements pour une souveraineté reconquise dans tous les domaines. Mais ce qui nous lie va au-delà de cet attachement. Il s’agit de la construction partagée d’un autre modèle de vie en société, fondée sur la recherche d’une articulation nouvelle entre la promotion des droits universels à l’égalité et à la démocratie et la spécificité de la relation à la nature et à la terre, ce que d’aucuns nomment du terme si intéressant de « pluriversité». Je vous renvoie à la très belle tribune de Patrick Chamoiseau parue dans le monde de jeudi et intitulée « Renouer avec un rapport poétique au vivant »
L’écologie décoloniale n’est pas le supplément d’âme exotique ou géopolitique d’une écologie européenne, elle est partie prenante d’une critique radicale et indispensable de l’extractivisme, de l’économie de plantation et de comptoir, c’est à dire des bases matérielles du système productiviste d’accumulation auquel il s’agit désormais de tourner le dos partout, et en particulier en France. Comment sinon engager la bataille contre la dépendance aux fossiles ou celle pour la souveraineté alimentaire ou pour la préservation des océans ? Comment croire qu’on aura la paix dans un monde ou des millions de personnes subissent d’ores et déjà les drames écologiques massifs dont ils ne sont pas la cause ? Au-delà encore, l’écologie décoloniale est le point de départ et le cheminement de la remise en cause de l’écrasement par la modernité technoscientifique, des civilisations et sociétés qui ont précédé le capitalisme et la conquête impériale. Elle fonde, en légitimité, en droit et en actes, la prise en compte indispensable de la diversité et de la pluralité des cultures. Elle est pour nous la base de la remise en cause de la construction culturelle raciste qui pourrit la société française et les sociétés européennes. L’écologie décoloniale est le point d’entrée par lequel, l’égale dignité de tous et toutes étant enfin reconnue, l’alliance pourra se nouer entre les écologistes et les catégories populaires. Celles issues de la migration mais pas seulement, car toutes sont accablées par le mépris dans lequel les groupes dominants tiennent les savoirs et savoir-faire profanes.
Le député Marcellin Nadeau et le Maire de la commune du Prêcheur Antoine Petitjean ont ensuite exposé comment ils s’inspiraient de ce concept d’écologie décoloniale afin de penser la politique à l’échelle de leur circonscription et de leur commune. Leur intervention a été par la suite complétée et illustrée par Antoine Petitjean qui coordonne un projet du réaménagement du centre-bourg de la commune du Prêcheur dans lequel cette dimension d’écologie décoloniale a été intégrée dans la manière dont a été pensé et réalisé le projet.
Nouveaux échanges avec la salle.
S’en sont suivis de nombreuses discussions, débats et échanges avec la salle autour de la nécessité de continuer à mettre en avant et de développer cette thématique de l’écologie décoloniale en la pensant depuis les territoires ultramarins et avec ses habitants et habitantes. La journée s’est ensuite clôturée par une prestation musicale de Icess Madjoumba qui mêle de nombreuses influences musicales caribéennes dans sa musique.
Perspectives post séminaire.
Ces quelques jours en Martinique auront donc contribué à mettre en lumière les enjeux d’écologie décoloniale en partant des récits énoncés par ses habitants et habitantes rendus visibles à travers les nombreux événements organisés. Les relais que nous avons pu avoir dans la presse (participation de Marcellin Nadeau au journal de Martinique la 1ère, de Pascal Margueritte à la radio la première, interview de Erwan Molinié dans France Antilles) attestent d’une visibilité grandissante de ces thématiques.
Ainsi, la notion d’écologie décoloniale a beaucoup à apporter dans la constitution d’une société plus écologique et plus juste depuis les territoires ultramarins et au-delà.
Nul doute que cette première expérience marque le début d’une série de débats et de discussions nécessaires sur cette thématique qui ne cesseront de croître. Forts de cette expérience Martiniquaise, nous pointons ici la nécessité d’élargir ces échanges dans le cadre d’autres territoires ultramarins par la suite. Débats, discussions et échanges à apporter et à restituer lors des prochaines rencontres de Cluny en mars prochain. Pour celles-ci, l’équipe organisatrice de cet atelier préparatoire sera présente afin des restituer les travaux menés en Martinique. Dans ce cadre il convient aussi d’engager des discussions sur le format de cette table-ronde ainsi que sur les participants à inviter et notamment sur la proposition d’inviter Robert Xovie du FNLKS ou encore Patrick Chamoiseau.