Séminaire : Sobriété, justice sociale et environnementale.

Compte rendu du séminaire sous l’intitulé « Sobriété, production, consommation. Injonctions et contradictions » tenu le 12 décembre 2023, Fondation Léopold Mayer, Paris 11e.

Co-organisateurs:

Bruno Villalba, professeur de science politique, AgroParisTech, Printemps. Samuel Sauvage, directeur de projets économie circulaire chez Auxilia, cofondateur de HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée), Stéphen Kerckhove, directeur général, Agir pour l’Environnement.

Problématique du séminaire :

Dans la continuité de la réflexion sur la sobriété initiée lors des premières rencontres, le séminaire interroge les conséquences d’une politique de sobriété sur le système productif et consumériste.

De nombreux discours existent qui valorisent des changements politiques, institutionnel et culturel systémique afin de faire face aux limites écologiques (transition écologique, planification, décroissance…).

Bien souvent, le rapport à la production/consommation n’est abordé qu’au travers d’une amélioration des dispositifs de production. La sobriété est ainsi construite comme une extension de l’efficacité. Pourtant, la logique de sobriété est prioritairement rattachée à l’univers de la consommation.
Si elle concerne des dimensions macroéconomiques, la sobriété questionne plus précisément la relation intime que nous entretenons tous à la consommation. De ce fait, le rapport entre production/ consommation est directement interrogée dès lors qu’on souhaite mettre en place des politiques de sobriété.
La sobriété valorise la consommation essentielle, préconisant la réduction des actes d’achats (biens et services) qui sont autant d’atteintes à la biosphère. On saisit donc bien l’antagonisme entre, d’un côté, la volonté d’un développement du productivisme, au nom du bien-être individuel et de l’intérêt économique des entreprises, et de l’autre, la réduction de la consommation au nom de l’intérêt de la planète et des générations futures, ainsi que des non-humains.

Pour tenter de réduire cette tension, on constate l’émergence de deux stratégies :

  • Des actions individuelles de consommateurs, (consom’acteurs, etc.) prenant en compte leur responsabilité dans l’acte de la consommation. La consommation demeure mais les pratiques changent, rendant ainsi possible la conciliation consommation/préservation ;
  • Une offre de sobriété émanant des entreprises : Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de business models soutenables (notamment RSE) et circulaires (éco-conception, d’efficacité énergétique, de circularité des flux de matières…).
Plus récemment encore, le monde de l’entrepreneuriat s’interroge aussi sur l’enjeu de la sobriété, comme en témoigne le plaidoyer pour une économie de la sobriété (Mouvement impact France). Cependant, les initiatives restent essentiellement centrées sur l’offre et maintiennent un imaginaire de la croissance verte.

Pourtant, développer un modèle sobre devrait permettre d’interroger la question de la valeur créée (utilité du produit au-delà des seules conditions écologiques et sociales de sa production), ainsi que de son impact sur la consommation. Un tel modèle business permet-il d’interroger le découplage de la productivité et de la destruction des ressources non-renouvelables ?

Le séminaire questionne le rôle central de la réduction dans la consommation et ses effets sur le monde de l’entreprise, de la défense du pouvoir d’achat, etc. La sobriété n’est pas seulement une question énergétique ou technique, mais un problème éminemment démocratique, qui concerne donc principalement les conditions de la production du bien-être, de son accessibilité et de son maintien.

Déroulement:

10h-12h30 Interventions de cadrage.

  1. Tour de présentation à partir d’un photolangage.
  2. Cadrage de l’atelier, principales définitions et enjeux (Bruno Villalba, AgroParisTech, Printemps).
  3. Interventions spécialisées :
    • Maud Herbert, Lumen, université de Lille, Professeure de marketing et culture de consommation – Co-fondatrice de Tex&Care, la chaire de la Mode Circulaire – interdisciplinarité au service de la transition du secteur de la Mode :  demarketing » et adaptation. Le cheminement vers le renoncement ».
    • Nadine Roudil, sociologue, « La rénovation thermique et ses conséquences ». N. Roudil a réalisé des études européennes sur la green génération, et travaille aussi sur les enjeux de la sobriété dans les écoles d’architecture.
    • Julie Madon, docteure en sociologie, Science po Paris, « Résister à l’obsolescence des biens domestiques. Des consommateurs contre les prescriptions du monde marchand et de l’entourage ».
  4. Questions et réactions de la part des participants et co-animateurs.
  5. Séquence de « purge » du sujet par sous-groupes : identification de tous les obstacles à la sobriété à partir de la méthode « CETOCSIC.

14h-17h Ateliers destinés à produire quelques recommandations.

  • 14h-14h30 : Mise en jambes, cadrage de l’exercice et constitution de 3 sous-groupes de 7 : Consommation / Production / Aménagement (par exemple). Chaque groupe nomme 2 « magiciens », 3 « ingénieurs » et 2 « diplomates ».
  • 14h30-16h : les groupes nomment 2 « magiciens » chargés de trouver 2 solutions magiques à la sobriété sur leur champ d’application. En groupe, les ingénieurs sont chargés de traduire la solution magique en solution opérationnelle, tandis que les diplomates veillent aux conditions d’acceptabilité. Une trame de solution est remplie.
  • 16h : pitch des 6 solutions travaillées. Echanges et ajustements en plénière et  travail de priorisation des propositions selon une échelle d’impact / faisabilité.
  • 17h : conclusions.

Échanges:

Sont rappelés quelques points de vigilance méthodologique. Dans cette problématique, plusieurs dimensions sont enchevêtrées : Les comportements individuels (responsabilité/responsabilisation) les tensions entre la nécessité de la sobriété et l’attente de consommation/intégration qui nécessite la gestion de la frustration (abondance non-atteinte). Le pilotage institutionnel de la sobriété, la tension (ou pas) avec la finalité productive des entreprises.

L’appel à la sobriété interpelle des choses très profondes chez les individus.Elle est aussi une négociation constante avec soi et avec son environnement social. il convient de reconnaître l’importance de l’incertitude et la notion de tension permanente/urgence existentielle et sociale qu’introduit la notion de sobriété.
Parle-t-on d’ailleurs de pratiques d’efficacité de gestion des flux et des stocks, ou d’un renoncement même à l’accumulation ? Quelle place et priorité accorder à la question budgétaire domestique ?

Le détachement relève d’une situation proche du deuil, de la fin d’une certaine conception de l’avenir. Les Enjeux dont forts dans la dépendance à l’objet et au désir de l’objet. La consommation est une activité sociale ;Il ya une dimension intrusive de l’injonction à la sobriété dans le rapport à l’objet, aux liens sociaux ;
Ajoutons que l’approche anthropocentrée devient de moins en moins androcentrée .

Les conditions sociales et culturelles de production de la norme « sobriété » sont donc à prendre en compte. Il convient de bien saisir les interactions en jeu dans la construction de la sobriété (individuelle, domestique, au travail, les collectivités) Parmi celles-ci :
Les inégalités, l’habitus consumériste, les valeurs dites immatérielles, la négociation de la norme de confort, le poids culturel du patrimoine, la radicalité plus ou moins grande de la transformation de nos modes de vie (la voiture comme mode de vie). L’influence des groupes de pression Le clivage manuel/intellectuel.

Du point de vue cette fois des orientations publiques, la construction des Instruments prend donc une dimension particulière la sobriété est une question politique:

  • Il faut répartir la charge de renoncement par une politique redistributrice, sinon pas de sobriété acceptable ou juste.
  • Les échelles d’intervention doivent être précisées et harmonisées a minima : Au niveau européen on connait les difficultés pour harmoniser les politiques (ex. TVA ; ex. sur les directives habitats sur la rénovation énergétique). Il faut en fait concevoir et diversifier les lieux de débat en fonction des objectifs recherchés.
  • a sobriété ne peut pas être construite en silos (politiques sectorielles). Par exemple les effets rebonds des pratiques de recyclage tendent à annuler les politiques de sobriété si elles ne sont pas examinées dans leur ensemble.
  • Il faut professionnaliser les objectifs de sobriété et normer les conditions de certifications des acteurs du marché (entrepreneurs, artisans, propriétaires…).
  • Il faut, même si ce n’est pas facile, prendre en compte ou comptabiliser les absences (biodiversité, réalités autres qu’humaines).

Le choix des Instruments, des moments et des espaces prend donc une importance particulière:

  • Comment rendre désirables les pratiques de sobriété ? (Ex. sur le moment de renouvellement de l’objet) il convient de préciser si on parle de sobriété écologique ou de sobriété dans la dépense.
  • Comment développer les pratiques alternatives : règlementation ? intermédiation politique souple et incitative : encadrement par des normes ; responsabilisation individuelle par le cadrage de l’institution et des partenaires commerciaux.
  • Comment favoriser la constitution de communautés sobres d’action ?

Intervention de Nadine Roudil : « Sobriété énergétique : quelques enjeux de la rénovation de l’habitat ».

La sobriété est inscrite dans une réalité sociale, particulièrement dans la situation du logement, ce qui explique le succès de la notion de précarité énergétique.
Cela pose la question de la lutte contre les inégalités. Il convient de réinterroger le paradoxe de l’ère de « l’abondance » ; l’opulence énergétique était liée à la surface disponible car sur l’instant elle ne coûtait pas cher. De cette façon, l’Etat a créé les conditions de la (sur)consommation, notamment d’énergie.
Comment démonter ce mécanisme et comment on y renonce ? L’invisibilisation de l’énergie et ses dimensions pourtant bien matérielles, est très grande, notamment dans les objets, mais aussi dans les pratiques sociales.
L’impossibilité de consommer marque une fracture de l’intégration : il y a donc des mots d’ordre qui sont inaudibles dans les populations précaires. Les populations contraintes expriment une attente de consommation. Comment construire une participation volontaire dans l’action de sobriété ?

Quelques remarques en vrac:

  • La sobriété dans le logement : on doit regarder la qualité de l’habitat et les pratiques de consommation d’énergie (voir les chiffres sur les types et la qualité d’habitat en France). Mais il faut regarder aussi les conditions de mobilité liées à l’habitat.
  • Les grands consommateurs d’énergie (par exemple) parisiens sont les plus hauts revenus ; on connait les inégalités de capacités à se chauffer. Du coup, les actions publiques paraissent désajustées ! les cibles devraient être prioritairement centrées sur les classes les plus aisées en vue de la fabrique de la « ville sobre » .
  • Il faut parvenir à des normes qui soient garantes d’un certain niveau de sobriété si on veut s’engager dans une transformation de l’habitat. Ce qui interroge l’institutionnalisation des normes et la normalisation des conduites.
    1. L’institutionnalisation des normes dépend du poids et de la crédibilité des institutions qui en font la promotion : étiquettes énergétiques, réglementation thermique, ville durable, développement de la ville sobre (labels et normes sur le volet construction et rénovation) …
    2. L’action publique détermine les conditions de professionnalisation des objectifs de sobriété, donne un prérequis (compétences, diplôme, relations) à une approche technique et s’appuie sur le développement d’un marché. La palette des acteurs qui ont affaire à la sobriété s’étoffe d’années en années (artisans, propriétaires, bailleurs…)
    3. La normalisation des conduites et des pratiques par des campagnes de sensibilisations aux économies d’énergie, les messages d’incitation dans le logement ; mais aussi contrainte par la monétarisation du coût de l’énergie pour le logement (Système DPE diagnostic de performance énergétique (DPE) On est toujours en limite des pratiques culpabilisantes.

Julie Madon: « Résister à l’obsolescence des biens domestiques ».

Si l’on veut encourager les pratiques individuelles pour faire durer les biens domestiques : il faut Interroger les liens entre les pratiques individuelles, domestiques et avec les entreprises, sur les objets banals. Il faut examiner les freins et les incitations,

La Construction des pratiques de longévité qui interviennent dans la carrière des objets dans un foyer, sont très variées : acquisition durable, préservation, prolongement) mais toutes ne sont pas écologiquement acceptables.
Cette diversité des pratiques renvoie à des significations variées avec une grande diversité d’acteurs : les sympathisants de HOP peuvent être classés en plusieurs groupes : les consuméristes, les installés, les citadins, les décroissants etc.
La socialisation familiale a sur ces pratiques une grande influence et l’appartenance sociale également : un rapport plus sobre aux objets est souvent lié a des contraintes financières ;
Les facteurs de sensibilisation ne sont jamais exclusifs et s’articulent entre eux : incitation publique + parcours personnel + éducation + contraintes budgétaires.
Comme cela a été dit, la non consommation est source de frustration …

Les freins aux pratiques de longévité sur la durée des objets :

Elles mobilisent de nombreuses ressources, socialement inégalement réparties (matérielles, informationnelles financières, spatiales, cognitives…) Aussi des ressources à titre individuel (bricolage ; temps…). Elles supposent une bonne connaissance des critères écologiques dans les phases d’achat et d’entretien et on ne dispose pas forcément de ecs connaissances. Elles nécessitent des négociations domestiques ou relationnelles. Elles se heurtent à des normes sociales dépréciatives (« radin », « illogique » et « inutile ») Elles sont contradictoires avec une offre marchande qui va aiguiller une partie des décisions : information donnée, impulsion d’une offre incitative, difficultés de réparation, prix de la réparation…Elles se comparent avec les pratiques dominantes d’entreprise, les normes de l’autorité publique .

Maud Herbert : « demarketing » et adaptation : Un cheminement vers le renoncement ».

Le marketing a participé à diffuser une culture de surconsommation, le chemin inverse est-il possible ? Pour le renoncement matériel et le cheminement vers la sobriété, les facteurs sont nombreux ; une démarche de détachement et de de révision à la baisse de son schéma de consommation + les contraintes sociales de sobriété.

Maud Herbert : « demarketing » et adaptation : Un cheminement vers le renoncement ».

Le marketing a participé à diffuser une culture de surconsommation, le chemin inverse est-il possible ? Pour le renoncement matériel et le cheminement vers la sobriété, les facteurs sont nombreux ; une démarche de détachement et de de révision à la baisse de son schéma de consommation + les contraintes sociales de sobriété.

Partie 1 – Pourquoi la sobriété doit-elle s’occuper du marketing ?

Comprendre et déconstruire l’emprise académique : depuis les années 70, le marketing traditionnel a accompagné, soutenu, aidé à répandre et généraliser une culture de consommation occidentale dominante et son système productif “sans limites” (littéralement “l’économie du cow-boy”)
Les « bibles » du marketing et du Marketing Management) ont été un moyen d’influencer pour faire adopter les pratiques de consommation (dans les années 1970) et même les étendre dans tous les domaines (Voir le caritatif, dans les années 1970). Nous devons déprogrammer et décoloniser 45 ans de théorisation hégémonique, hautement invasive dans les pratiques et dans la recherche. Les conséquences de l’invasion du marketing sont nombreuses :
– Un brouillage intempestif et constant entre la notion de besoin et de désir : “construction des besoins“ ”attentes des consommateurs“ ”cible et ciblage“ ”positionnement”.
– Un problème avec la temporalité : le marketing positionne le consommateur, client roi, dans un instant t, avec une tendance à accélérer tous les rythmes (production et consommation). Le marketing soutient l’immédiateté de la consommation et rend (de plus en plus) difficile de penser son propre futur (de manière raisonnée et raisonnable), sauf à le fantasmer et à faire de soi un projet identitaire ou plusieurs projets.
À ce titre, le consommateur est englué dans une culture de consommation consumériste mais cela va même plus loin : le syndrome consumériste touche toutes les sphères, y compris le rapport à l’autre, on consomme plutôt qu’on investit durablement. On consomme même la “responsabilité”.
Apogée de cette ère, le consommateur interprète les offres du marché de manière consumériste, nos pratiques sont façonnées. Des dispositions marchandes deviennent des consommerçantes, les objets deviennent des actifs sur lesquelles il spécule.
Le marketing coupe désormais le consommateur de la matérialité des objets : dès le milieu des années 80, pour accompagner la mondialisation et la financiarisation (Brand equity management) le marketing a tenu le discours fondé sur le progrès et le confort. Il a focalisé une grande partie de ses attentions et des ressources vers les valeurs immatérielles : (la marque, les concepts, l’expérience).
Depuis ses débuts, le système capitaliste extractif a focalisé sur la « marchandise comme fétiche » ! Ce fétichisme s’est nettement renforcé par les techniques marketing qui créent une très forte distanciation voire une négation de la production matérielle. Au-delà de l’abondance il valorise l’accumulation. Laquelle est renforcée par la valorisation extrême de l’éphémère et du renouvellement qui de facto, annule l’idée même de durabilité. C’est comme cela que fonctionne également le marketing dit « expérimentiel « (l’achat d’une expérience, d’une idée, d’un concept) … espace de distanciation qui crée une distance avec les supports matériels mêmes de l’objet ! L’objet devient le support d’un autre achat.

Partie 2 – Comment le marketing prétend il s’occuper aujourd’hui de la sobriété ?

  • Soit Il ne s’en occupe pas ; on reste globalement dans un déni organisé du sujet écologique et encore plus de la sobriété, au sein des pratiques managériales et de recherche : il refuse évidemment d’associer capitalocène et anthropocène, il est déjà en difficulté à penser le “mieux”, alors penser le “moins”…
  • Soit il s’en occupe en utilisant la même pensée qu’auparavant  : un marketing vert ou durable qui soutient la « croissance verte », ou un marketing qui s’intéresse exclusivement au bien-être du consommateur (convaincre les gens rapidement et sans douleur = nudges mystique de la manipulation “pour un bien”). On peut parler ici du détournement de la thématique de la « sobriété heureuse » dans une forme d’immédiateté qui flatte encore l’hybris (et qui se traduit même dans les médias avec l’épanouissement personnel, le bonheur individuel etc.). Ce marketing là affiche une volonté très affirmée de se tenir à l’écart de la politique. Il parle peu d’écologie.
  • Il arrive qu’iI s’en occupe, mais de manière très minoritaire et à la marge avec plusieurs manières d’aborder la question ;
    1. Une approche anthropo-philosophique qui prône un rapport sensible au Vivant et une réflexion ontologique renouvelée. Cette manière d’aborder les choses est souvent esthétisante, une intellectualisation distinguée (et très “située” par rapport aux profils des chercheurs). Voyez le « Thoreau away » et la recherche de plénitude. De façon générale, la littérature sur le consommateur responsable s’est focalisée sur les convaincus à haut capital culturel et économique.
    2. Une forme macro qui se concentre sur les grands discours /récits et les transformations discursives des marchés.
    3. Une forme micro qui se focalise sur l’objet ou les objets le rapport à l’objet qui se concentre sur les liens entre les individus et leurs possessions. C’est une approche plutôt psychologisante et/ou une approche par la sociologie de l’objet et la culture matérielle et qui fait (souvent) appel à la théorie des pratiques.
    4. Une forme critique (enfin !) qui prend en compte aussi les disparités sociales dans la consommation, qui va pointer les formes de responsabilisation et qui ose parler de décroissance.

Partie 3 – Propositions de pistes de réflexion concrètes à propos du chemin du renoncement matériel

Il faut citer ici deux à trois recherches importantes sur des registres très différents : celle menée en 2013, avec l’ADEME pour « Osez Changer », celle menée dans les dressings, celle menée sur les couples qui renoncent à la procréation. Elles convergent :
Un point de départ fort : la super structure que représente le paradigme social dominant de la (sur)consommation et ses injonctions.
Une donnée importante : la capacité à agir du consommateur, la force du groupe et du lien social dans les rapports de consommation (et donc de non-consommation).

Je ne parlerai pas ici de récit, mais plutôt de stratégies de renoncement matériel :

  1. Le renoncement matériel n’est pas un parcours linéaire : Un parcours non linéaire pour tous les profils, avec des dilemmes fort et des sentiments négatifs (colère, frustration, découragement) plus ou moins contrebalancés par des sentiments positifs (fierté, accomplissement). Ne pas sous-estimer la place des émotions dans le processus.
  2. Il existe des étapes chroniques avec des “objets” totems (l’alimentaire, la voiture, le déménagement, les voyages/vacances, les meubles, les objets du quotidien), le renoncement est aussi un processus de détachement progressif (ex de la voiture, de la boîte utile). Ici possibilité de parler de « Take the Jump » 2022 : trois vêtements neufs par an pour respecter le 1,5° (on est actuellement à 31 ! en moyenne par foyer).
  3. Le renoncement est d’abord un désencombrement (pour les privilégiés) et un approvisionnement mesuré pour les plus contraints, principe de l’économie circulaire domestique à conscientiser : éviter le neuf, revenir à la matérialité déjà existante (penser en flux et pas en stock). Les pratiques de réparation et d’embellissement augmentent la durée de vie.
  4. La socialisation joue un rôle notoire : Partager ses efforts et découragements est important, avoir quelqu’un qui aide à commencer puis à maintenir les efforts (ex osez Changer, question également du partage des tâches).
  5. la localisation joue un rôle notoire/territorialité, les initiatives à échelle locale sont souvent les plus intéressantes/efficaces. En auto-gestion (ex : les dons sur les communautés FB) ou avec intermédiation politique (sous conditions).
  6. Reconnaître l’importance de l’incertitude et la notion de crise permanente/ la crise c’est à la fois un futur perdu, une ambiguïté/incertitude sur les futurs à venir, et la conséquence est de trouver sa place dans ce maelström. Ici évoquer l’idée qu’il faut faire le deuil d’objets, de pratiques mais également du vivant (je reviens également sur l’idée d’accepter les émotions liées à ce type d’évènement), d’autant plus compliqué que nous vivons dans une société contemporaine dont le rapport à la mort est complexe et culturellement distancié. A creuser les deux mythes de la mort : la mort-naissance et la mort-survie. Une dernière idée avant l’échange ; La consommation responsable est le fait des femmes, comme le zéro déchet, dans le textile…

Note synthétique sur les échanges de l’après-midi. Ce qui fait que les choses vont bouger dans le sens de la sobriété:

  • La sobriété contrainte : l’effondrement possible de tel ou tel secteur économique et industriel. Les ruptures d’approvisionnement liés aux conflits, la pénurie ou l’explosion des couts liés à la raréfaction ou à la prise en compte dans la formation des prix des couts écologiques dans la production, la modification des moyens financiers disponibles des ménages (La ségrégation par l’argent).
  • La sobriété choisie l’évolution des objectifs définis par la communauté, les pratiques culturelles déconsuméristes.

Les instruments qui peuvent transformer les pratiques sociales :

  • Des dispositifs descendants +/- contraignants ; limitation de l’extractivisme et du commerce international, relocalisation industrielle ; carte carbone ; action sur les prix et la course aux coûts bas, le protectionnisme écolo, les réglementations, les taxes…
  • Des dispositifs d’alliance et de partenariat : Partenariats public/privé (financement, transformation des process de production, soutien à l’innovation…) ; enjeux du financement des mesures et des politiques envisagées (pb de la dette…) ; production de label, de scores, etc. dissuasifs.
  • Dimensions procédurales de la négociation pour développer des pratiques sobres :
    1. Démocratisation des débats : arènes de débat, procédures participatives, expérimentation, évaluation essaimage…
    2. Délibération collective pour définir (par exemple les besoins) .
    3. Territorialisation des process et des procédures.
    4. Planification aux échelles pertinentes.