Séminaire: Science et décision publique

Séminaire tenu à Paris 23 novembre 2023.

Intervenants:

Le séminaire a réuni les différents membres du groupe de travail de La Fabrique écologique qui a donné lieu à la publication de la note Sciences et décision publique : « Mariage impossible, union de raison? » en juin 2023. Il s’agit de Denis Couvet professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), de Lucile Schmid Vice-présidente de La Fabrique écologique, tous deux coprésidents du groupe, de Sylvain Rotillon chef de projet vélo dans l’Essonne, géographe, de Frédéric Denhez écologue et journaliste, d’Héloïse de Gaulmyn étudiante en master d’économie environnementale à AgroParisTech et rapporteure du groupe. Jacques Archimbaud assistait au séminaire pour l’association « L’instant d’après » qui coorganise les Rencontres de Cluny.
Le séminaire conformément au mandat, s’est efforcé d’identifier des points de consensus et de controverse autour de la thématique des liens entre sciences et décision publique. L’élargissement aux liens entre sciences et questions de société autour du « faire société écologique » a semblé nécessaire, compte tenu de la finalité des Rencontres de Cluny.

Déroulement:

Le séminaire conformément au mandat, s’est efforcé d’identifier des points de consensus et de controverse autour de la thématique des liens entre sciences et décision publique.
Le séminaire a volontairement moins traité de la question du récit de la relation entre science et décision publique dans une société écologique et solidaire à venir que de la question des conditions à installer pour construire dès à présent un tel récit
L’élargissement aux liens entre sciences et questions de société autour du « faire société écologique » a semblé nécessaire, compte tenu de la finalité des Rencontres de Cluny.

La discussion, en lien avec les travaux effectués pour la note et ses conclusions, a abordé les enjeux suivants:

1°) La position de neutralité des chercheurs et la manière dont cette position peut être modifiée dans un contexte d’accélération des dérèglements écologiques et de transformation du débat public.
Les questions suivantes ont été soulevées : la neutralité existe-t-elle ? Quelles sont ses relations avec la ou les notions d’objectivité scientifique ? A quel moment une action est-elle militante ? Qu’est-ce qu’un chercheur militant ‘initiative Scientists in rébellion) ? Comment sortir de son laboratoire ? Faut-il le faire ? Quelle est la position la plus pertinente de la recherche face à des décisions politiques urgentes mais qui tardent à venir ? Doit-elle être la même face à une grande diversité de parties prenantes –société civile, monde économique et financiers, pouvoirs publics ? Cette question relève-t-elle de la conscience de chacun ? Peut-elle être abordée collectivement, par des instances de régulation (collectif 1.5, comité d’éthique du CNRS)? Quelles sont les disciplines touchées majoritairement ? Jusqu’où peut aller l’engagement ?

2°) La question des générations et de l’interdisciplinarité. Les jeunes chercheurs sont-ils davantage concernés et mobilisés par « l’urgence écologique » ? Le développement de l’interdisciplinarité qui est explicitement à l’ordre du jour institutionnel, se fait-il au bon rythme et avec des moyens suffisants (financiers, déroulement de carrière) ?
Comment peut-on inscrire cette interdisciplinarité dans les parcours d’enseignement supérieur et les premières années de recherche ? Les échanges ont mis en avant la nécessité d’un meilleur dialogue entre les sciences humaines, de la nature, et les sciences de la complexité. Le risque existe que se développent plusieurs agendas qui ne s’articulent pas entre eux : droit, économie, sciences du climat, biodiversité. La meilleure interaction entre le GIEC et l’IPBES est un élément positif.

3°) La création de récits pour une société écologique autour des sciences. La multiplication des exercices de prospective et des scénarios pour une transformation des comportements à l’horizon 2030/2050 (neutralité carbone) donne aux faits scientifiques et aux contraintes économiques et sociales qui en découlent une importance centrale.
Les rapports du GIEC et de l’IPBES ont joué un rôle essentiel pour faire comprendre la responsabilité humaine dans les dérèglements actuels. Mais les récits continuent d’osciller entre une vision catastrophiste et des idéologies solutionnistes (qu’elles soient technologiques ou politiques).
Comment peut-on encourager la production de récits qui prennent en compte le niveau d’ambition nécessaire et qui donnent aux principes du contrat social (égalité, solidarité, enjeux de liberté) leur place, tout en tenant compte des faits, qu’ils soient matériels et/ou sociaux ? Comment adapter ces récits aux enjeux micro-économiques et territoriaux et ne pas se cantonner à un registre macro-social?

4°) L’intérêt de l’approche par la recherche pour alimenter le « comment faire ? » et non plus le seul diagnostic. Cela se constate d’ailleurs dans les rapports mêmes du GIEC (Vie Rapport) et dans le dernier rapport de l’IPBES qui valorise les savoirs vernaculaires, d’expérience, proposant d’aller vers la transdisciplinarité, ou combinaison mise en synergie des différents savoirs.
Pour combattre le climato-scepticisme, un consensus s’est dégagé lors du séminaire pour considérer que les limites du « comment faire ? » créait de nombreux malentendus. Et était instrumentalisé par les adversaires de la transition écologique pour créer de nouveaux obstacles au changement.
Le fait de se cantonner à un discours abstrait, moral, porté par les élites publiques ou privées, ou d’’appuyer les transformations écologiques sur un usage du droit qui ne prenne pas suffisamment en compte les enjeux sociaux et économiques alimente les conservatismes et les peurs.
Les résultats, propositions, scénarios, de la recherche peuvent éclairer les alternatives. Mais celles-ci doivent impérativement être appuyées par des moyens institutionnels –arènes de construction et de mise en discussion des récits- humains et financiers, une bonne collaboration entre acteurs et des méthodes de mise en oeuvre qui mettent en place les médiations et la territorialisation indispensables.

5°) Le rôle des médias, l’organisation du débat public comme outil indispensable d’une vie démocratique où les faits scientifiques et les résultats de la recherche ne soient plus le domaine réservé des experts.
En 2022, la signature par de nombreux médias d’une charte d’engagement a donné aux enjeux écologiques une place plus importante dans leur ligne éditoriale, comme d’en faire un traitement documenté, est un premier pas.
Les choses ont-elles vraiment changé pour autant ? L’une des difficultés est la mise en perspective des faits, autour de mise en récits plus écologiques, alors que le flux de l’actualité structure aujourd’hui les médias audiovisuels et même la presse (flux des sites) dans des mises en récits résolument non écologiques, centrés par exemple autour de la croissance des productions et consommations matériels. La formation des journalistes aux faits scientifiques a également progressé.
Mais le traitement de l’information et sa mise en débat suppose de rompre avec le processus même de présentation actuelle lorsqu’il est superficiel, routinier, tendanciel, n’intégrant pas le changement de perspective écologique : buzz, phénomène d’imitation entre médias, traitement des informations positives sous-estimé au profit des mauvaises nouvelles et de débats conflictuels. Comment traiter d’enjeux complexes ? Comment donner des exemples territorialisés, concrets ? La montée en puissance des fake news affecte aussi les enjeux écologiques.

6°) Le développement des sciences participatives/citoyennes. La France est un pays où les sciences citoyennes ont traditionnellement une place non négligeable particulièrement sur les enjeux de biodiversité.
Les collaborations entre les ONG environnementales et des chercheurs concernant les sciences de la nature existent de longue date (programme Vigie Nature MNHN, FNE, citoyens bénévoles : mesures des populations d’animaux et de végétaux dans toute la France).
Mais il reste à construire une culture scientifique partagée entre les citoyens, les chercheurs et ceux qui décident sur des enjeux comme l’énergie domaine longtemps réservé aux ingénieurs et aux grands acteurs économiques internationaux. Il y a également nécessité de développer de nouvelles formes d’hybridation de la recherche pour que les sujets viennent du terrain. Les citoyens ne doivent pas être cantonnés à être des collecteurs de données. De descendant le système de recherche doit devenir ascendant.

7°) Un discours documenté sur la transition écologique indispensable pour les engagements du Pacte vert européen.
Les engagements de l’Union européenne sur le Pacte vert (2019) se sont traduits par un bouquet de textes Fit for 55 qui place les États membres face à une ambition sans équivalent à l’échelle mondiale. Mais la tentation de « la pause » fait explicitement partie des options pour la prochaine mandature. A l’échelle de l’Union européenne la nécessité de faire le lien entre les faits scientifiques, les enjeux de justice sociale et un fonctionnement des institutions qui inscrive le récit européen durablement dans une perspective écologique est indispensable.