Séminaires – Penser la transformation écologique des services publics.

Participants ou contributeurs.

Raphaël Yven, directeur d’hôpital. Sandra Demestre, inspectrice des finances,Dominique Méda Marine Fleury, université d’Amiens, Claude Garcia, polytechnique Genève ,Jean-François Collin, conseiller à la Cour des comptes, Angel Prieto, chef du service économique de l’Etat en région, DREETS Auvergne-Rhône-Alpes Pascal Schuster, service du premier ministre,Virginie Valentin, DGA des Hospices civils de Lyon Noëlle Bernard, médecin en charge du groupe de transformation écologique au CHU de Bordeaux.Rudy Chouvel, responsable adjoint du pôle “OFFRES” de la fédération hospitalière d France.Laurence Quinaut, DGS de la ville de Rennes Laurent Fussien, DGS de la ville de Malaunay et membre de la Fabrique des Transitions Valérie David, DGA Brest Métropole CFDT – Jocelyne Cabanal Céline Danion, consultante, administratrice de lieux culturels, ancienne conseillère de la ministre de la Culture Sandrine Fournis (CEREMA, ex MTE) Céline Marty, université de Bourgogne Camille Morio, université de Grenoble Godefroy Beauvallet (DRH Corps des Mines) Agathe Cagé Fabrice Gendre, DGS de la ville de Colombes Alexandre Fremiot, DGS de l’agglomération Plaine Commune

1ère séance : “le discours de la méthode”. 24 juin à Paris.

Dans la perspective d’une société écologique, la puissance publique a un rôle central pour impulser, pour accompagner et pour protéger. Cela implique une transformation complète de l’Etat et de ses modes d’action, dans un délai contraint pour répondre aux enjeux écologiques et sociaux. La complexité de l’ensemble des chantiers à conduire rend ce processus incertain et empreint de contradictions, ce qui nuit à la lisibilité pour le citoyen. Ce séminaire est l’occasion de penser la conduite de cette transformation.

La première séance du séminaire, a été dédiée à l’identification des contradictions. Celles-ci peuvent être issues d’écarts et de tensions au sein du cadre réglementaire, sur les ressources mobilisées, sur la capacité à agir.

Les participants sont invités à identifier ces contradictions au regard de leur expérience professionnelle ou de travaux de recherche.

Cette première séance permet d’identifier les pistes de réponse aux trois questions suivantes :

Les participants sont invités à identifier ces contradictions au regard de leur expérience professionnelle ou de travaux de recherche.

Cette première séance permet d’identifier les pistes de réponse aux trois questions suivantes :

  1. Quelles sont les conséquences pour l’action publique ?
  2. Quelles contradictions risquent d’en découler ?
  3. Quels moyens et méthodes sont à déployer pour dépasser ces contradictions ?

L’État fait face à des défis inédits à horizon 2035 et 2050. Les transitions à mener devront être portées au travers de chocs structurels dans un délai court.

La dynamique de développement antérieure s’est bâtie sur la consommation d’énergie carbonée à haute intensité et sur la stabilité des prix relatifs des matières premières.

A partir des années 80, l’approche néo-managériale s’est traduite par une recherche de la performance interne des organisations publiques et la contraction de la dépense publique avec un objectif de réduction des niveaux de fiscalité.

Si cette stratégie a permis de prolonger une trajectoire de croissance du PIB, elle a aussi conduit à un retour des inégalités et à une dégradation des limites planétaires.

Dans ce contexte, l’Etat paraît disposer de capacités limitées pour piloter ces transitions. Il est confronté à des blocages importants lorsqu’il cherche à adapter son action aux enjeux écologiques. Après 30 ans d’une action limitée, il fait face à présent à un mur d’investissement à financer. Pour relever les défis écologiques, la construction d’un récit de cette transformation apparaît nécessaire, mais sera-t- elle suffisante ? Lorsque ce récit est trop en décalage avec la réalité et les attentes des citoyens, naissent des tensions sociales, voire des crispations identitaires.

1/ Les défis à relever

Les défis écologiques sont systémiques (multiples, multidimensionnels et entrelacés) selon les analyses d’Edgar Morin et de Bruno Latour. Conserver une vision stratégique des enjeux et des obstacles devient pour les décideurs publics le premier défi pour conduire cette transformation.

Pour décliner ces principes au niveau des services publics, Le Lierre propose les axes suivants :

  • Objectif n°1 : construire des services publics soutenables en réduisant leur empreinte écologique à un niveau compatible avec les limites planétaires ;
  • Objectif n°2 : garantir l’égalité d’accès aux services publics en particulier aux personnes vulnérables, et assurer la pérennité de ces services publics pour les générations futures;
  • Objectif n°3 : garantir la légalité de l’action publique ;
  • Objectif n°4 : veiller à l’efficience de l’action publique et au bon usage des deniers publics;

Ses dernières années ont vu des avancées dans notre compréhension des phénomènes à l’œuvre. La révision des politiques publiques doit se poursuivre pour prendre en compte les constats scientifiques. En 2023, sept des huit limites planétaires sont dépassées.

Graphique 1 -Evaluation des limites planétaires en 2023.

Cette situation est source de risque systémique pouvant provoquer ou contribuer à engendrer des crises. Pour la seule limite du climat, le rapport Stern de 2007 chiffrait le coût de l’inaction à 20 % du PIB annuel.

2/ Définir une méthode.

En gardant à l’esprit ces défis, Le Lierre propose d’articuler la méthode de la transformation autour de quatre concepts : la soutenabilité, la solidarité, la responsabilité et le dialogue.

Atteindre la soutenabilité.
Pour « Imaginer (vite), l’État qu’il nous faut ! », ont été identifiés 4 leviers :

  • La mise en place d’un référentiel des soutenabilités au crible duquel passer toutes les politiques et dispositifs publics pour s’assurer de leur caractère « durable, systémique et légitime »,
  • Le renouvellement des modalités de planification, indispensables à l’atteinte de nos objectifs de réduction de gaz à effets de serre,
  • La mise en place d’un « continuum délibératif » qui permette de clarifier ce qu’il est pertinent de soumettre à la participation citoyenne et selon quelles modalités,
  • La création d’un « orchestrateur » des soutenabilités pour conseiller, évaluer, outiller, mettre en cohérence et transformer les services publics aux côtés des agents publics.

Une exigence de solidarité.

La construction de ce référentiel ne sera possible qu’à condition de mieux intégrer à cette transformation une exigence de solidarité, sur trois dimensions de l’équité. Les plus vulnérables d’entre nous sont les plus exposés aux conséquences des risques écologiques. Ils disposent de moins de ressources pour adapter leur mode de vie aux nouvelles contraintes, pour se protéger et pour limiter leur impact. Ces adaptations sont des nécessités. Il ne s’agit pas de payer deux fois plus cher un billet d’avion pour un week-end à Rome, mais de faire le choix contraint de dépenser plus d’une année de revenu pour acquérir un véhicule électrique. Cette exigence implique aussi de penser les conséquences de la transformation pour l’emploi public et d’accompagner les agents. Cette exigence est d’anticiper les effets des politiques publiques de soutenabilité sur la solidarité nationale et territoriale pour conduire les arbitrages.

Agir en responsabilité.

Dans cette optique, Dominique Méda expose l’enjeu central de sobriété pour les services publics et une note préparatoire du Lierre proposée par deux médecins et trois cadres du secteur hospitalier identifie les blocages qui entravent la transformation de l’hôpital pour mettre en place ces principes d’action. Ces blocages sont aujourd’hui ressentis par de nombreux agents du secteur public qu’ils soient à l’État en administration centrale ou déconcentrée, dans les collectivités territoriales en charge de la planification ou de porter des initiatives territoriales, ou dans les hôpitaux et les établissements sanitaires et sociaux.

Faire vivre le dialogue.

a capacité à dialoguer apparaît comme la première compétence du décideur public, que ce soit dans la prise de décision démocratique, dans le dialogue social et dans l’organisation du travail. Les principes d’action du « nouveau management public » apparaissent aujourd’hui obsolètes et inadaptés pour déployer les principes d’action d’un service public écologique. Sa transformation conduit à identifier les attentes des agents publics dans la définition de leur rôle et de leurs missions.

La relation entre citoyens et service public est au cœur de cette réflexion. Le « continuum délibératif » nécessite un récit qui clarifie le rôle de la puissance publique autour du triptyque « impulser – accompagner – protéger ». Les syndicats sont les premiers interlocuteurs pour négocier les conditions de la transformation. Ils sont force de proposition avec notamment le pacte du pouvoir de vivre porté par la CFDT et le plan de rupture élaboré par le « collectif Plus jamais ça » avec la CGT.

3/ Les 4 contradictions bloquant la transformation des services publics.

Freins identifiés : Quatre types ont été identifiés.

  1. Défi Financier : Lutter contre la crise environnementale implique des investissements colossaux à toutes les échelles, pour un montant estimé par le rapport Pisani-Mahfouz à 35 Md€ d’ici 2030. Cependant, les réglementations financières actuelles des acteurs publics (Etat, collectivités, hôpitaux, mais aussi des opérateurs comme SNCF Réseau) contraignent le financement des investissements nécessaires.  Les normes comptables ne sont pas non plus adaptées à une appréhension extra-financière de la valeur créée par l’argent public (ou des dommages causés). 
  2. Coopération entre les acteurs: Obtenir des résultats en matière d’action climatique nécessiterait que chaque entité dispose d’objectifs à son niveau et pense son action dans le cadre du nouveau régime climatique. Cela implique d’arbitrer sur les scénarios que l’on retient. Les institutions et acteurs publics se doivent d’être exemplaires pour entraîner le reste de la société. Agir efficacement contre la crise environnementale requiert une grande coordination au sein de chaque organisme et une capacité accrue de coopération entre les différentes strates administratives du territoire (nationale, régionale, départementale, communale…). Aujourd’hui, le dialogue entre les différents agents, entre les échelles, entre les services et l’État est trop limité et les objectifs fixés à l’échelle des territoires ne tiennent pas comptent des capacités à agir de chacun. Ainsi, nous devons créer de nouveaux espaces de dialogue et un nouveau cadre administratif dans lequel la coopération serait promue et facilitée.
  3. Formations et compétences: Le troisième frein identifié est celui du manque de formations des agents publics et de l’accès à l’information. En effet, le manque d’expertise et de connaissance dans les collectivités, les opérateurs et les services de l’État pour formuler des propositions réfléchies est un frein majeur. Les décideurs sont confrontés à du non-savoir et auraient besoin d’accéder à une expertise externe neutre et à des capacités d’ingénierie. D’un côté, les agents font face à un manque de lisibilité quant aux ressources à utiliser. D’un autre côté, s’appuyer sur le savoir et les initiatives des agents publics peut être d’une grande richesse et nécessaire pour comprendre et appréhender les enjeux de terrain et un enjeu motivationnel important dans un contexte de crise d’attractivité de la fonction publique.
  4. Désirabilité et acceptabilité: Comme l’affirmait Bruno Latour, lutter contre la crise environnementale, c’est d’abord porter un nouveau projet de société, incarner un nouveau paradigme social, économique et environnemental. Le manque de désirabilité et les fortes externalités associées à l’action freinent l’engagement des élus et des décideurs publics. Manque aujourd’hui un discours audible et installé sur une sobriété désirable. La construction de ce discours, pour accompagner des actions de transformation réelle, sera un défi majeur. A contrario, il n’est pas possible de placer les gens devant des choix impossibles, notamment sur le plan financier. Des objectifs précis et les moyens d’y parvenir doivent être profondément réfléchis et compréhensibles par l’ensemble des citoyens. La dimension délibérative et le cadre démocratique doivent être repensés pour devenir moteurs d’une transition acceptée et désirée. Cela concerne aussi la démocratie sociale avec l’enjeu de pouvoir conduire de vraies négociations sur ces sujets.

Nous devons collectivement chercher à développer notre sensibilité, notre créativité, cultiver le sens de la collectivité, et la mise en place d’un récit commun pour orienter nos actions et leur donner du sens. Pour être architecte du changement, il faut savoir ce qu’il faut changer, y croire, ne pas être occupé à faire autre chose et savoir comment agir.

2e séance : Décider . 25 novembre.

Nous traversons une crise environnementale sans précédent. Il est urgent que les services publics portent et accompagnent avec efficacité la transition écologique sur l’ensemble du territoire français et ce, dans un délai contraint par les impératifs environnementaux.

Quelle approche de la décision ? La décision peut être considérée comme un point de jonction entre deux phases : Celle de la mise sur agenda, de la construction d’un problème, de la définition de solutions Celle de la mise en œuvre de la nouvelle politique décidée (puis, dans l’idéal, de son évaluation). Ces phases sont cruciales dans la réussite des bifurcations de l’action publique et il est donc proposé d’y accorder un égal intérêt. La décision est très rarement individuelle, ces trois phases font intervenir une pluralité d’acteurs (politiques, administratifs, socio-professionnels, associatifs, citoyens…) qui défendent des intérêts différents.

La rationalité des décideurs se trouve limitée par de très nombreux facteurs :

  • Le caractère incomplet du savoir détenu ;
  • L’impossibilité d’anticiper l’ensemble des conséquences des décisions ;
  • Le caractère entrecroisé des problèmes posés ;
  • Le fait que l’information disponible est filtrée par des croyances, des idées, des intérêts personnels… ;
  • L’impact des habitudes, routines et choix passés ;
  • Les contraintes organisationnelles… mille-feuille bureaucratique ;
  • Les contraintes économiques et financières ;
  • Il existe par ailleurs une préférence pour le statu quo qui pousse à privilégier des politiques de « petits pas ».

La décision n’est pas à appréhender comme un moment, mais comme un processus, souvent marqué par la mobilisation d’intérêts sectoriels et l’exercice de jeux de pouvoir qui donnent lieu à des conflits et/ou à des compromis. Il arrive en outre que les solutions précèdent les problèmes : en fonction des solutions disponibles et des marges de manœuvre existantes, on va mettre à l’agenda tel problème public dont la résolution apparaît plus accessible, plutôt que tel autre. On pourrait ainsi décrire la décision comme la résultante de quatre types de variables : les problèmes qui se posent, les solutions disponibles, les acteurs présents dans le processus, et le contexte de choix.La mise en place de structures de débat collectif dans le cadre de décisions publiques permet d’élargir le cercle des acteurs qui interviennent dans les processus décisionnels et peut conduire à reformuler les problèmes selon des points de vue différents (ceux des usagers par exemple).

Un cadre conceptuel complexe :

La décision en matière d’environnement revêt une triple complexité. En effet, elle est à la fois transversale, c’est-à-dire qu’elle fait intervenir de nombreux secteurs différents (transports, énergie, agriculture…), mais combine également des thématiques multiples, voire incompatibles (thématiques politiques, économiques, sociales…). La décision est le résultat d’un compromis, faisant intervenir une multitude d’acteurs ayant des intérêts différents : elle est un processus, le fruit d’une action collective. On pourrait ainsi décrire la décision comme la résultante de quatre types de variables : les problèmes qui se posent, les solutions disponibles, les acteurs présents dans le processus, et le contexte de choix.

Les constats scientifiques paraissent établis depuis les années 70, et consolidés dès 1992. Cependant, malgré des décennies de recherche scientifique, la connaissance climatique et environnementale reste incomplète (science des sols par exemple) Ainsi, en découlent deux conséquences majeures comme le précise Pierre Lascoumes : il existe une réelle difficulté à prendre des décisions en matière environnementale et « les programmes d’action publique environnementale sont souvent flous quant aux objectifs à atteindre. Ils énoncent des buts généraux qui laissent de larges marges d’interprétation aux acteurs sociaux. ».

Dans cette optique, réfléchir à la décision vise à identifier à quel moment les décideurs font le choix d’engager une administration dans une voie de transformation. Il ne s’agit pas de nommer et de cibler les “mauvaises décisions”.
La situation actuelle de nos services publics ne semble pas être uniquement le résultat en France d’une somme de “mauvaises décisions”, mais bien d’une difficulté systémique à assumer des décisions difficiles de transformation.

L’absence de bifurcation des services publics est d’abord liée à deux conditions préalables : la capacité à comprendre de sujets nouveaux complexes et la nécessité de bâtir un consensus international robuste. A présent, ces deux conditions ont connu des avancées notables au travers d’accords internationaux et de politiques publiques mieux conçues, mais des blocages importants continuent à limiter la transformation des services publics.
Dans ces moments cruciaux, le rôle des décideurs prend tout son sens. Il leur faut décider : qui mène ces transformations, selon quel calendrier et avec quels moyens.

Propositions d’axes à approfondir

A partir de ces éléments généraux il est proposé d’approfondir lors de la dernière séance les éléments suivants en les traitant sous l’angle des transitions écologiques:

  • La place et le rôle du dialogue social dans la construction de la décision.
  • La construction des décisions en interne aux administrations et le rôle des agents : comment échapper au sentiment que « ça se décide sans moi » ?
  • La prise de décision avec les citoyens/les usagers.
  • Le besoin d’expertise.
  • Le juste niveau de décision.
  • Le besoin de partage de « communs » pour construire la décision collective.
  • L’importance d’opter pour un niveau de pluralisme et de pluridisciplinarité adapté à la complexité du problème (exemple des « staff » pluridisciplinaires à l’hôpital).