Séminaire : Humains: non humains vers une santé globale

La santé commune pour habiter une ville robuste.

Interdépendance des santés sociale, humaine et des milieux naturels à partir de l’exemple lyonnais

Contexte 

Cette contribution fait suite à l’organisation d’une table-ronde, le cinq février 2024 en mairie du 3è arrondissement de Lyon, réunissant Olivier Hamant (chercheur, biologiste, Institut Michel Serres), Blandine Mellouet Fort (médecin en santé publique, réalisatrice, Alliance santé planétaire), Marie-Thérèse Charreyre (chercheuse au CNRS sur les sujets de santé globale) et Grégory Doucet (maire de Lyon et président des Hospices Civils de Lyon). 

Elle sera reversée au débat “Humains non humains vers une santé globale“, dans le cadre des secondes rencontres des pensées de l’écologie à Cluny, le vendredi 22 mars.

Introduction aux concepts  

La santé telle que définie par l’OMS en 1948 : état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

Dans sa charte publiée en décembre 2021, l’OMS insiste sur l’urgence « de créer des sociétés sources de bien-être durable, engagé pour l’équité en santé, aujourd’hui et pour les générations futures, dans le respect des limites écologiques ».

Il faut avoir une définition de la santé qui dépasse la question du soin ; l’accès au soin représente uniquement 15% des déterminants de santé (le reste étant la biologie, l’âge, le patrimoine génétique, le comportement, l’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement, la qualité de l’air et de l’eau). 

Performance : somme de l’efficacité (atteindre son objectif) et de l’efficience (avec le moins de moyen possible). Soit la recherche du contrôle, de l’optimisation, de la rationalisation.

Robustesse : capacité à maintenir le système stable malgré les fluctuations.

« One Health » (ou « une seule santé ») : penser la santé à l’interface entre celle des animaux, de l’Homme et de leur environnement, à l’échelle locale nationale et mondiale. 

Ce modèle présente lui-aussi des limites comme par exemple l’absence de la santé sociale (pourtant présente dans la définition de l’OMS).

Santé commune : à la différence de One Health, la Santé commune identifie la santé humaine, la santé sociale et la santé des milieux naturels et reconnaît la dépendance de la santé humaine à la santé des environnements naturels, prioritaire.

Résumé des échanges

Le culte de la performance nous coûte (Olivier Hamant)

Nos sociétés actuelles sont malades de la performance :

le culte de la performance est réductionniste. Et résoudre certains problèmes en crée de nouveaux ailleurs. 

-l’effet rebond : l’efficience énergétique peut mécaniquement conduire à l’ébriété énergétique : nous savons construire des frigos plus efficaces en terme de consommation d’énergie, mais cela a permis à la « population » de frigo d’augmenter significativement (par ex, les caves à vin) et … l’énergie consommée par cette « population » de frigo est plus importante qu’auparavant.

la Loi de Goodhart : quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être fiable

-un coût exorbitant : pénuries de ressources, crise climatique, effondrement de la biodiversité et pollution globale sont le coût de la performance. Coût payé principalement par la biodiversité et les plus pauvres.

La robustesse comme réponse aux fluctuations du monde (Olivier Hamant)

Tous les rapports scientifiques du XXIème siècle partagent une conclusion : le monde est devenu fluctuant (évènements climatiques extrêmes, mouvements sociaux, crises géopolitiques…). Notre excès de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Et les autres êtres vivants vivent depuis des millions d’années dans un monde fluctuant, nous pouvons apprendre d’eux.

Un exemple parlant est celui de la photosynthèse: les plantes, via la photosynthèse ne récupèrent que 0,3 à 0,8% de l’énergie solaire à laquelle elles sont exposées. Elles « gâchent » donc 99% de l’énergie. On pourrait considérer ces plantes comme inefficaces mais cette inefficacité les rend robustes. Les défauts maintiennent le système stable malgré les fluctuations. 

Prenons un exemple de robustesse pioché dans nos organisations humaines : d’un point de vue économique, la sécurité sociale n’est pas performante, pas optimale puisqu’elle est déficitaire depuis toujours. Or, en prenant soin des individus qui la compose, elle renforce notre société, elle la rend plus robuste. 

Dans un monde turbulent, la valeur montante est donc la robustesse. 

Et la Santé commune permet de construire des projets robustes, en prenant en compte les trois santés sans exception : humaine, sociale et des milieux naturels (santé de l’eau, des sols et de la biomasse).

Le besoin d’un nouveau récit écologique et positif pour la santé (Blandine Mellouet-Fort)

Parmi les trois santés composant la santé commune, la santé humaine est ce qu’il y a de plus fédérateur, c’est le concept qui va permettre d’intéresser et d’embarquer le plus grand nombre. Loin des tonnes de CO² invisibles, la santé humaine est palpable, se ressent dans la chair.

On peut observer une diminution progressive du lien humain-nature, une fuite du réel vers le monde virtuel, le développement d’une amnésie environnementale : on s’habitue à l’extinction progressive du vivant, à être de moins en moins en contact avec la nature. 

La connexion humain-nature améliore la santé, le bien-être augmente les comportements environnementaux vertueux. Le récit écologique, positif et mobilisateur doit s’appuyer sur ce lien entre nature et santé, pour ressentir les effets bénéfiques et concrets d’une relation retrouvée avec la nature. 

Chez les parents, des à priori doivent être combattus : « la nature c’est sale et dangereux pour les enfants ». Alors que l’enfant s’expose à plus de risques en restant enfermé (maladies cardio-vasculaires, myopie, obésité…). Les médecins doivent veiller à ce que leurs patients gardent un contact régulier avec la nature. La Société canadienne de pédiatrie a même lancé une campagne pour « pousser les enfants aux jeux risqués ». 

Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer en développant un urbanisme favorable à la santé, en amenant de la nature à la population par une végétalisation des rues, des écoles, en déployant des crèches de plein-air, etc. 

La prévention de la santé humaine par l’alimentation. Un travail entre scientifiques et acteurs locaux (Marie-Thérèse Charreyre)

L’alimentation est un élément clé dans la construction d’un récit mobilisateur autour de la santé et de l’écologie, et est un levier central dans la santé préventive. 

Être en bonne santé et avoir une bonne nutrition n’est possible qu’en ayant connaissance de la façon dont sont produits les aliments et comment ils sont transformés. Il faut donc associer les chercheurs, les agronomes, les nutritionnistes, les acteurs de terrain comme les citoyens, les conservatoires de semences, les agriculteurs et paysans-boulanger.

Un exemple avec la culture des semences anciennes, un mélange de variétés beaucoup plus robustes et issues de l’agriculture biologique. Ceci favorise une meilleure qualité alimentaire et donc une meilleure santé. Tout cela permet de favoriser la biodiversité des sols et la présence d’insectes. Autre exemple aux HCL, avec l’utilisation de céréales d’épeautres (intérêt agronomique et nutritionnel) dans la restauration collective (16 000 repas par jour) qui permet d’agir sur la santé primaire et tertiaire des usagers. 

Un enjeu primordial est de recréer du lien entre le consommateur et son alimentation et cela peut être fait en s’orientant vers les AMAP par exemple. Dans nos sociétés, s’il y a de la demande, alors les filières se développent. Les écoles, hôpitaux etc. sont aussi des lieux de sensibilisation. 

Concernant l’offre alimentaire, des actions de régulation sont possibles. Exemple de la bataille autour du Nutri-score, qui est un indicateur imparfait mais qui donne une première information au consommateur. Les industriels ont de grandes responsabilités en la matière. 

A Lyon, la santé commune comme boussole des politiques publiques (Grégory Doucet) 

A Lyon, on utilise plus le concept de résilience, moins de robustesse. La collectivité n’a pas formellement de prérogative en matière de santé, pourtant elle a un rôle clé par son action sur le cadre de vie, ou avec l’établissement d’un Contrat local de santé. 

L’un de ses quatre axes fondamentaux consiste à « créer ou renforcer des milieux de vies favorables à la santé ». 

Plusieurs leviers sont activés afin de créer des conditions de bonne santé : supprimer les perturbateurs endocriniens dans les crèches, introduire des produits issus de l’agriculture biologique et locale dans nos crèches et écoles, réduire le plastique, re naturer la ville (espaces verts, cours nature), développer des mobilités actives, dispenser l’éducation « dehors », etc. En matière de santé sociale, nous avons fait un effort financier sans précédent pour renforcer nos acteurs de l’éducation populaire, de la vie culturelle et sportive.

Et ces actions sont réalisées de façon transversale car il est nécessaire d’aller chercher des savoirs dans différents domaines scientifiques et universitaires, de travailler à plusieurs échelles.

En effet, l’alimentation est la meilleure porte d’entrée pour sensibiliser largement et parler de la santé humaine,  de la santé animale et d’écologie. Plusieurs projets à Lyon vont dans ce sens, tels que :

  • La Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation (MESA), implantée dans un Quartier Prioritaire de la Ville (QPV), qui est un lieu hybride pour cuisiner ensemble, pour acheter des produits issus de l’agriculture biologique et en vrac à un tarif accessible et créer du lien social
  • La ville de Lyon (avec la Métropole de Lyon et St-Cyr) a participé à la reprise par 3 jeunes agriculteurs de la dernière ferme située sur le territoire municipal. Ils vont faire du maraîchage, de la vigne, de l’élevage de races anciennes de porcs quasiment disparues. 
  • Sur les marchés de la ville de Lyon, un label « Ici C Local » est déployé sur les stands. L’habitant sait ainsi où l’aliment est produit et par qui, et les producteurs et les agriculteurs locaux sont mis en valeur.
  • Les potagers urbains, entretenus en lien avec les associations, permettent de générer du lien social, notamment dans le cadre d’ateliers pédagogiques pour les enfants, ou encore d’ateliers thérapeutiques. Les enseignants sont aussi très demandeurs de ce type d’espaces dans les écoles (exemple des minis potagers)
  • La plantation de 27 vergers urbains avec différentes variétés, avec une participation des enfants participent pour favoriser le lien à la nature. 

Propos conclusif

L’exemple lyonnais en matière de santé commune illustre l’importance prépondérante des villes en la matière. Le territoire communal est le lieu même de la santé, et l’autorité municipale un acteur clé qui doit être reconnu ! 

C’est pourquoi la ville de Lyon a accueilli, en février 2022, un sommet de grandes villes européennes qui ont émis la déclaration commune « Healthy cities, healthy citizen », remise aux 27 ministres des affaires étrangères et de la santé réunis à l’occasion de la Présidence Française de l’Union Européenne. 

Cette déclaration de Lyon affirme que les politiques publiques municipales permettent d’améliorer très significativement la qualité de vie, le bien-être et donc la santé. 

Forts de cette démarche, la ville de Lyon a constitué le réseau « ONCE » dans le cadre d’un projet Urbact, qui permet, avec 8 autres villes européennes, de diffuser l’approche One Heath dans les stratégies et projets urbains.